L'Évangile de Judas à la lumière du judaïsme mystique
par Madeleine SCOPELLO, Chercheur au CNRS, Université Paris IV-Sorbonne.
La structure de l'Évangile de Judas a été nourrie et soutenue par le recours à plusieurs sources, à la fois gnostiques et non gnostiques, qui ont servi à l'auteur anonyme de cet apocryphe pour encadrer le face à face entre Jésus et juda. Dans ce riche patrimoine traditionnel, il nous paraît important de relever la présence de traditions religieuses du judaïsme, qui s'enracinent à la fois dans la spiritualité essénienne (écrits de la mer Morte), et plus largement la spiritualité du judaïsme mystique. Cette parenté apparaît en filigrane, tant dans le langage que dans les thèmes abordés par l'Évangile de judas.
Cela n'est pas un cas unique dans la littérature gnostique : les traites d'Allogène et de Zostrien, appartenant au corpus de Nag Hammadi, attestent tout aussi bien une forte présence de traditions dérivées du judaïsme mystique, dont témoigne un certain nombre de textes appartenant au corpus dit "intertestamentaire", dans les litératures fleuries autour des personnages d'Abraham et d'Hénoch, par exemple.
UN TEXTE MARQUÉ PAR L'IDÉE DE DUALITÉ
L'évangile de judas est un texte construit sur une série d'arguments et de thèmes rangés sous des pôles opposés (bien-mal, lumière-ténèbres, haut-bas), une façon de procéder souvent adoptée par les auteurs gnostiques et qui confère à leurs textes une forte tension. Les deux premiers termes qui s'opposent sont mentionnés dans r'évangile de Judas en 33,10 : la voie de la droiture et la voie de la transgression, une expression technique qu'on relève fréquemment dans les textes esseniens découverts à Qumrân. Si l'opposition principale qui se dessine dans l'Évangile de Judas est celle entre le Dieu transcendant et parfait - que les gnostiques revendiquent comme le leur - et le démiurge responsable d'une création défectueuse, d'autres oppositions se dégagent entre le monde céleste et le cosmos, entre l'univers des anges de dieu et celui des archontes cosmiques, entre le corps prison de ténèbres(NDLR. L'égo en conscientisation et privée de son corps espritique,selon Aurobindo) et l'esprit lumineux(NDLR. L'esprit conscientisé et fusionné dans le corps physique,selon Aurobindo). De plus, les deux visions présentées dans ce document, celle qu'ont les disciples et celle expérimentée par Judas, s'articulent également selon ce schéma d'oppositions polaires(NDLR. donc une vision pour les conscientisés et ceux en devenir,car le macrocosme doit s'établir nécessairement dans le microcosme aussi ! ).
UN THÈME OBSÉDANT : LA SOUILLURE DU TEMPLE
Une des préoccupations majeures manifestées dans l'Évangile de judas est celle de la souillure du temple, thème abordé lors du récit d'une vision collective vécue par les disciples, à l'exclusion de Judas (38,2-41,6). Or, l'obsession de la souillure du temple est un des soucis majeurs de la secte des esséniens; celle-ci avait considéré que la prêtrise sadoqite (NDLR. aussi appelé : Les sadocites étaient considérés comme des membres éminents du clergé de Jérusalem, ayant un rôle crucial dans les rites religieux et la vie spirituelle de la communauté. Ils étaient perçus comme dépositaires de la tradition et de l'autorité religieuse.Ainsi, le terme sadocite désigne non seulement une appartenance familiale mais aussi un statut social et religieux particulier au sein de la société de l'époque.)avait souillé le temple de Jérusalem, c'est pourquoi elle s'était retirée sur les bords de la mer Morte afin de rendre à Dieu un culte spirituel, pur de toute souillure.
Une étude ponctuelle de la terminologie technique dans l'Evangile de Judas et les écrits de la mer Morte étaye cette parenté.
L'IMPORTANCE ACCORDÉE À L'ASTROLOGIE
Un autre thème traité dans l'Évangile de judas qui nous paraît influencé par la pensée de l'essénisme est celui du déterminisme astrologique : dans les horoscopes de Qumrân, on affirme que chaque homme a sa destinée inscrite dans les cieux, ce qui marque son appartenance au "lot" de la lumière ou au "lot" de la ténèbre. Cette comparaison permet d'éclairer la signification que l'on doit attribuer à l'étoile de Judas"() dont il est question dans l'apocryphe nouvellement retrouvé.
(NDLR. Par rapport de l'étoile de judas(éon): Judas était sous l'emprise des astres (45, 13). Il est qualifié de « treizième daimon » (44, 20), de « treizième »(13 ième apôtre) (46, 20) et il est celui qui gouvernera sur ceux qui le maudissent (46, 21-23). Ce gouvernement de Judas s'exercera par l'entremise de son étoile (ou de son astre) sur le treizième éon (55, 10-11). C'est cet aveuglement de Judas qui le poussera à commettre le sacrifice le plus vil qui soit : Sacrifier l'enveloppe charnelle de son maître et l'offrir au dieu Saklas.)(NDLR. Le Dieu Saklas,qui est le principal démon du manichéisme)
LE PORTRAIT TYPE DE L'HOMME PARFAIT
Par ailleurs, l'auteur de l'Évangile de Judas a construit, tout au long de son traité, l'image idéale du parfait initié, le profil du mystique qui, soit par une vision, soit par un voyage céleste, obtient la révélation des mystères, des secrets divins. Les disciples d'une part, Judas d'autre part essayent de se conformer à ce modèle idéal de toutes leurs forces. Mais c'est seulement l'attitude de judas qui coincide avec ce portrait type du mystique tracé par l'auteur.
Le lot de l'initié : la solitude:
À la page 35,21-25, on relate que, sachant que Judas était en train de réfléchir sur des arguments sublimes, jésus lui dit : "Sépare-toi des autres et je te dirai les mystères du royaume". La solitude est le lot de l'initié. En 35,26, jésus rappelle à Judas qu'il est possible d'atteindre cet état, mais qu'il peinera beaucoup. L'annonce et l'anticipation des difficultés font partie du cadre de l'ascension mystique et les exemples ne se comptent pas dans la littérature ésotérique juive. On peut aussi se demander si, lorsque Jésus dit à Judas en 36,1 "quelqu'un d'autre te remplacera" (littéralement: "quelqu'un d'autre viendra vers ton lieu"), il ne fait pas allusion à une substitution de son être corporel(NDLR. Mais a un chevauchement du corps espritique ,comme l'a déja dit Aurobindo et le supramental a venir, et annoncé en 1969 par Bernard de mtl), pendant que Judas entreprend son itinéraire mystique de façon que le nombre de disciples reste inchangé(NDLR. car judas est le 13ième disciple). L'ensemble des remarques de Jésus met en garde le candidat à l'initiation avant qu'il n'entreprenne son chemin d'élection, dont l'issue reste cependant incertaine.
Jésus, l'ange guide par excellence:
On peut par ailleurs noter que Jésus endosse ici le rôle qui est l'apanage, dans la mystique juive et dans les spéculations de la gnose (cf. à Nag Hammadi les traités d'Allogène et de Zostrien par exemple) de l'ange guide. Parmi les plus beaux textes qui définissent les devoirs de l'ange à l'égard de l'initié, l'on peut citer l'Apocalypse d'Abraham et le livre hébreu d'Hénoch.
L'ÉTRANGE VISION DE JUDAS:
Judas persécuté par les disciples
Arrêtons-nous maintenant sur la vision d'une maison dans les hauteurs, dont Judas fait le récit à Jésus et dont celui-ci fournit l'interprétation allégorique (44,24-45,26). Voici ce qu'on lit dans le texte:
« Judas lui dit : "Dans la vision j'ai vu les douze disciples qui me jetaient des pierres et me persécutaient sévèrement. Puis je me suis rendu au lieu où [le texte manque] après toi. Je vis [une maison] et mes yeux ne pouvaient en saisir la grandeur. Et de grands gens l'entouraient, et cette maison avait un toit en feuillage (ou un vaste toit) et au milieu de la maison il y avait
[ ]. " Il dit "Maître, conduis-moi vers ces gens"
Jésus répondit et dit : "Ton étoile t'a conduit à l'erreur. Aucun homme de naissance mortelle n'est digne d'entrer dans la maison que tu as vue, car ce lieu est réservé aux saints; ni le soleil ni la lune règnent là-bas, ni le jour, mais la sainteté se tiendra toujours dans l'éon avec les saints anges.Regarde, je t'ai expliqué les mystères du royaume" ».
Une maison céleste peuplée d'hommes très grands
Cette vision s'articule en deux parties d'importance et de longueur inégales : d'abord la vision de la punition que les disciples réservent à Judas, ensuite la vision d'une maison céleste. Il s'agit selon nous du récit d'une expérience mystique vécue par Judas, et dans laquelle on peut déceler des références précises à des modèles attestés dans des textes appartenant à la mouvance de l'ésotérisme juif.
L'on examinera ici la seconde partie de la vision. judas voit une maison dont la taille extraordinaire ne peut même pas être mesurée. Cette maison est entourée de "gens nobles, de gens grands" (selon la traduction des éditeurs de l'Évangile de Judas) : entendons plutôt, en traduisant littéralement le copte, d'hommes très grands (45,5).
Ensuite, il est question du toit de cette maison, un toit en feuillage.
Il nous semble que cette description d'une maison" est une allusion précise au temple céleste, au palais où réside le dieu transcendant, thème sur lequel la littérature juive mystique et surtout la littérature dite des Hékaloth ont spéculé abondamment. Il y a ici, dans l'évangile apocryphe, une trace précise qui nous indigue que son auteur gnostique était familier de ces littératures ésotériques qui, à partir des textes de la Merkabah, ont marqué de leur sceau le courant du judaïsme mystique pendant de nombreux siècles.
En effet, la mention faite de la taille de la maison dont la grandeur est insaisissable aux yeux de Judas est typique des visions du temple céleste, du palais divin (cf. par exemple, 1 Hénoch 14 et plusieurs références en 3 Hénoch, ainsi que dans l'Apocalypse d'Abraham).
Qui sont les hommes très grands dont parle le texte copte ?
Ce sont des anges à la taille démesurée. Cette façon de nommer les anges "hommes" se retrouve dans le Testament d'Abraham V, tout au long du roman de Joseph et Aséneth ou encore dans 2 Hénoch 1. Ces hommes très grands, ces anges, entourent le lieu où réside la transcendance divine. Ils se consacrent, selon toute probabilité, au service ininterrompu de la divinité et à la prononciation du Nom sous la forme d'un chant perpétuel.
En ce qui concerne le toit, les mentions de celui du palais divin que l'on peut trouver dans la littérature juive mystique se réferent généralement ; un toit de feu flamboyant (1 Hénoch 14,17) ; la reconstitution "toit de feuillage" dans l'Évangile de Judas est probablement erronée, ou il s'agit d'une erreur du scribe copte. On ne sait pas, car il y a une lacune, ce qu'il y avait au milieu de la maison, le seul mot partiellement conservé étant meshe, "foule" (45,9), peut-être une foule d'anges préposés au service de la divinité.
Judas initié
judas demande à jésus (45, 11) de le faire entrer dans ce lieu avec "ces gens-la" (nous traduirons, comme auparavant, par "ces hommes-la" nirome en copte). Il s'agit à nouveau, selon nous, des anges, ce qui est confirmé par les lignes qui suivent où on lit : "Ton étoile t'a conduit à l'erreur, Judas. Aucun homme de naissance mortelle est digne de pénétrer dans la maison que tu as vue, car cette place est réservée pour la Sainteté". Ni le soleil ni la lune ni le jour règneront là-bas, mais le Saint (la saintetél) se tiendra toujours dans l'éon avec les anges saints.
L'expression d'"anges saints" ou d'"anges de sainteté" est typique de la littérature de Qumrân (Règle Annexe, par exemple), du Livre des Jubilés et du 1 Hénoch. Jésus termine cette interprétation en disant à Judas qu'il lui a ainsi expliqué
"les mystères du royaume".
L'ATTACHEMENT AUX ANGES
Un autre aspect qui étaye les influences exercées par la mystique juive sur l'Évangile de Judas est l'intérêt que son auteur prête aux anges. Cet intérêt est également partagé par d'autres textes gnostiques retrouvés à Nag Hammadi ou transmis par les Pères de l'Église. L'angélologie constitue souvent, dans ces traités, le canevas sur lequel s'inscrivent les grandes problématiques gnostiques : la théologie, la cosmologie, l'anthropologie.
Tout comme dans d'autres traités, l'on trouve dans l'apocryphe de Judas des anges in bonam partem (bons) et des anges in malam partem (mauvais), le terme aggelos ayant été utilisé par les gnostiques dans les deux sens. Dans l'Évangile de Judas, on définit nettement les deux camps, les anges du Dieu Transcendant faisant face aux anges du démiurge.
L'angélologie gnostique s'enracine dans l'angélolocie du judaisme mystique dont elle réutilise des matériaux tout en les mettant au service d'une nouvelle idéologie : le Dieu Très haut se distingue du créateur du monde. Cette opposition se définit par leurs armées angéliques respectives, organisées en camps et en rangs militaires.
Ces armées sont vouées au service et à l'adoration de leurs chefs respectifs.
En guise de conclusion, l'appropriation de traditions du judaïsme ésotérique qui marquait déjà, à notre sens, certains écrits gnostiques de Nag Hammadi trouve aujourd'hui, dans l'Evangile de Judas, un nouveau témoignage. Cela nous porte à croire que les frontières entre des groupes juifs de tendance mystique et des groupes ésotériques gnostiques n'étaient pas étanches et que des relations et des liens étaient tissés entre eux.
On doit toutefois noter que ces reprises de langage, de formules, de thèmes sont adaptées au nouveau contexte gnostique qui scinde polémiquement par rapport au judaïsme la figure du dieu créateur et celle du Dieu transcendant, en construisant ainsi une nouvelle vision du monde.
REF.: REF.: Le magasine,Religions et Histoires,numéro 11, 2006.
Nota: Qui est Aurobindo ?
Sri Aurobindo (né Aurobindo Ghose ; 15 août 1872 - 5 décembre 1950) était un philosophe indien, yogi, maharishi, poète et nationaliste indien.[3] Il était également journaliste, éditant des journaux tels que Vande Mataram.[4] Il a rejoint le mouvement indien pour l'indépendance de la domination coloniale britannique, jusqu'en 1910 était l'un de ses dirigeants influents, puis est devenu un réformateur spirituel, présentant ses visions sur le progrès humain et l'évolution spirituelle.
L'Évangile de Judas est un texte apocryphe (c’est-à-dire non reconnu par les Églises) du iie siècle. Document du mouvement gnostique à l'intérieur du christianisme primitif, il apparut sur le marché, dans sa version en langue copte (iiie siècle), dans les années 1970. En mauvais état et en partie démembré, ses pages 33 à 58 (du Codex Tchacos) sont aujourd'hui déposées à la Fondation Martin Bodmer à Genève.De nos jours, un tiers environ du texte est connu.Chez les anciens, on peut noter le jugement d'Épiphane de Salamine qui, dans son Panarion (1,31), affirme que cet évangile fait partie des écritures de la secte gnostique des Caïnites. Il réagit à l'apologie que cet écrit fait de Judas en s'appuyant sur le texte des évangiles canoniques, eux-mêmes fondés sur une lecture prophétique de l'Ancien Testament. Or certains gnostiques avaient précisément comme règle herméneutique de détacher le Nouveau Testament de ses racines juives. C'est peut-être le cas de l'Évangile de Judas : en justifiant Judas, ils mettent à mal tout ce que les chrétiens ont compris du drame de l'apôtre à partir de leur méditation des livres prophétiques et des Psaumes.Il est dit à la fin de l'Évangile de Judas qu'il surpassera les autres. Or, le contexte immédiat indique que ceux que Judas surpassera ne sont pas ceux qui suivent Jésus, mais plutôt ceux qui présentent et offrent en son nom des sacrifices au dieu Saklas (56, 12-13).
Bernard de Montréal:
Son vrai nom est: Étudiant en anthropologie à l'Université d'Albuquerque, au Nouveau-Mexique, Jen-Paul Boucher, dit Bernard de Montréal, (1939-2003), a vécu, en 1969, une fusion supramentale qui généra une profonde transformation psychique, y compris une perte de mémoire. Il a exploré l'esprit humain dans un grand mouvement québécois entre 1970 et 1980. https://www.bernard-de-montreal-energie-du-savoir.com/l%27-instruction-une-puissance-vibratoire-unique/?fbclid=IwAR2d4mGYdyOa3xzUqyoiaDgBHi2AjiFAPNjOD6qBMgRdV4mpArLImlz_2OA
ou bien ici https://www.facebook.com/groups/578376322594232?multi_permalinks=1804017483363437&hoisted_section_header_type=recently_seen
BIBLIOGRAPHIE:
DOGNIEZ C. ET SCOPELLO M., "Autour des anges : traditions juives et relectures gnostiques", in Coptica, Gnostica, Manichaica, Mélanges offerts à W.P. Funk, Les Presses de 'Université Laval-Editions Peeters, 2006, pp. 179-225.
DUPONT-SOMMER A. ET PHILONENKO M. (éd.), La Bible. Écrits inter-testamentaires, La Pléiade, Gallimard, Paris, 1987.
MopSik C., Le livre hébreu d'Hénoch ou livre des palais, Verdier, Paris, 1989.
SCHÄFER P., Le Dieu caché et révélé. Introduction à la mystique juive ancienne, Le Cerf, Paris, 1993.
ScHOLEM G., Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism and Talmudic Tradition, The Jewish Theological Seminary of America, New
York, 1960.
SCHOLEM G., Les origines de la kabbale, Pardès, Paris, 1966.
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A l'envers c'est a l'endroit ,.........vous vous en appercevrez a un moment donné !