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vendredi 4 août 2023

Ce que dit l'Evangile de Judas; Les secrets confiés au disciple

 

Ce que dit l'Evangile de Judas;Les secrets confiés au disciple



par Jean-Daniel DUBOIS, Directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études (Paris), section des Sciences religieuses.



Des les premières lignes, le texte de l'évangile apocryphe renvoie à Judas l'iscariote (33,3), et donc à celui-là même que les textes canoniques qualifient de traître. Le codex se termine d'ailleurs lui aussi par l'évocation du salaire que les grands prêtres de Jérusalem remirent à Judas en échange de sa trahison : 


Le disciple "reçut de l'argent et leur livra [Jésus]'. Pourtant, l'image que l'Evangile de Judas donne du disciple se trouve en contradiction totale avec celle véhiculée par la tradition chrétienne, puisqu'il y est présente comme le disciple favori de Jésus. 

Quelle révélation secrète est donc contenue dans le texte apocryphe ? 

ÉVANGILE OU DISCOURS CACHÉ ?


Le titre de l'oeuvre comporte le terme d'évangile; rappelle ainsi le début de l'Évangile de Marc (1,1) et le sens originel de ce mot qui désione Une "bonne nouvelle" ; mais il n'est pas certain qu'il fasse partie de la rédaction originale, car les premiers mots de l'ouvrage (33,1) utilisent le terme de "discours caché" ou "apocryphe" pour caractériser le genre littéraire du traité. Ce titre a pu être ajouté par la suite, au cours de la transmission du manuscrit. En copte, il correspond au grec Évangile de judas - avec judas placé en complément du nom - ainsi qu'il apparaît aussi dans la traduction latine de l'ouvre d'Irénée, Contre les hérésies (1,31,1), quand il est fait allusion à un Évangile de Judas.


Cependant, il ne s'agit pas de la formule classique employée dans les évangiles canoniques

-_ "Évangile selon Matthieu", ou "selon Marc", Luc, ou jean -; ce titre ne vise donc pas à présenter judas comme l'auteur présumé de l'œuvre : il donne plutôt une indication de son contenu.

Cet ouvrage consiste en fait en une série de dialogues entre Jésus et Judas (33,2), l'ensemble étant une révélation sur des secrets merveilleux accordés à la personne de Judas, le seul disciple capable de les comprendre.


JUDAS PLACÉ SUR UN PIÉDESTAL

La figure de Judas occupe ici une place inhabituelle. Même s'il est présenté comme celui qui livra Jésus - et qui fut, selon le scénario des Actes des Apôtres (1,15-26), remplacé après son suicide par Matthias, afin que les Douze soient à nouveau Douze -, Judas est placé sur un piédestal par rapport à ses condisciples. Ces derniers sont frappés d'incompréhension face aux paroles de Jésus (34,23) : "Ils commencèrent à s'irriter, et à se mettre en colère et même à blasphémer contre Judas en leur cœur" (34,19-22). À l'inverse, Judas est le seul à percevoir les réalités du Rovaume et à recevoir une révélation particulière de lésus:

"Sépare-toi des autres et je te dirai les mystères du royaume. Il te sera possible d'y parvenir, mais au prix de maintes afflictions (35,23-27)Cette présentation très valorisante de Judas tranche avec le portrait qui est fait de lui dans les évangiles canoniques. Elle correspond pourtant au résumé de l'oeuvre que représente Irénée de Lyon, vers la fin de iiième siècle, dans son Contre les hérésies (1,31,1)il indique en effet que dans cet apocryphe , Judas a été le seul d'entre les disciples à posséder la connaissance de la vérité. 

Dans d'autres textes gnostiques des Il° et III siècles, on constate une mise en valeur similaire de la figure d'autres apôtres : Thomas, celui qui ne crut pas à la résurrection de lésus (Évangile de Thomas 13), ou Pierre, celui qui l'a renié (Apocalypse de Pierre, Nag Hammadi Codex VII,3 et Irénée, Contre les hérésies 1,24,4 à propos des gnostiques basilidiens). L'image que le Codex Tchacos donne de judas se trouve donc à contre-courant de celle que les chrétiens du II° siècle avaient de lui, si on se réfère à la documentation biblique canonique. 


Les enseignements de Jésus aux disciples:

Après le prologues (33,1-6)un bref sommaire de l'activité de Jésus pendant son ministère terrestre (33,6-20)le présente comme un  faiseur de miracles oeuvrant pour le salut de l'humanité. A ce titre, les guérisons et les miracles correspondent au portrait de jÉsus dans les évangiles canoniques,tout comme l'élection du groupe des Douze au début de son ministère terrestre.Curieusement,pourtant , le début de la narration ne rapporte pas de miracle particulier; il décrit seulement l'action de jésus, centrée sur des entretiens avec ses disciples à propos des "mystères au sujet du monde et de ce qui aurait lieu à la fin" (33,16-18). Comme dans la plupart des traités gnostiques, les révélations du Sauveur concernent le monde, sa création et ses fins dernières.


Ici, de nombreuses pages sont consacrées à la cosmologie des mondes supérieurs et à la fin des temps. Remarquons au passage que la traduction des éditeurs' évoque à tort des mystères "au-delà du monde" (33,16) ; il s'agit plutôt des "mystères au sujet du monde". De même, en 33,20, les éditeurs indiquent que Jésus se présente à ses disciples sous les traits d'un enfant; il faut plutôt y voir une apparition voilée de Jésus: ses disciples ne le reconnaissent pas, au contraire de Judas, qui parvient à l'identifier et à lui faire face.


Nota: La cosmologie: (du grec cosmos,'''univers", et logos,"'étude") ; doctrine sur l'organisation des diverses parties du monde.  


LE DÉVELOPPEMENT NARRATIF DE L'ÉVANGILE

Les éditeurs de l'apocryphe proposent de comprendre son développement narratif en une suite de trois séquences. Mais les indices de temps et de lieux permettent un découpage plus raffiné.Le cadre narratif de l'Évangile de judas se situe au milieu des récits canoniques de la Passion; l'ensemble du récit évoque des événements antérieurs à la mise en croix de Jésus. Le prologue précise que l'action se déroule dans la semaine de Pâques (33,3-6).


Jésus rejette le Dieu de l'Ancien Testament

Une première séquence expose la rencontre de lésus et de ses disciples alors que ces derniers sont réunis (33,21 à 36,10). La scène est située en Judée. Les disciples se trouvent rassemblés comme dans le récit biblique de la dernière cène de jésus. Il apparaît au moment de l'action de grâces sur le pain et se manifeste par un sourire, lequel est l'occasion d'un échange verbal, les disciples ne comprenant pas le sens de ce sourire.

Jésus leur explique alors que cette action de grâces sert à louer "leur" Dieu. Les disciples sont surpris : pour eux, Jésus est le fils de leur Dieu, mais l'intéressé leur indique que nulle génération parmi eux ne connaîtra sa véritable nature !

Cette mise à distance des disciples provoque leur irritation et leur colère. C'est alors que Jésus leur révèle que le Dieu qui est en eux n'est pas capable de faire surgir l'homme parfait. Alors que les disciples croient avoir la force de se tenir devant Jésus, seul Judas a le pouvoir de le faire, tout en détournant son visage, avant de confesser l'origine divine de Jésus. 


Puis Jésus exhorte Judas à se séparer des autres afin de recevoir en privé la révélation des mystères du Royaume. Mais la révélation n'a pas lieu immédiatement : Jésus disparaît un moment.


L'opposition entre la "génération sainte" immortelle et les générations humaines

mortelles

Une deuxième séquence met en scène deux nouvelles apparitions de Jésus à ses disciples le lendemain matin et le surlendemain (36,11 à 44,14). La première consiste à nouveau en un échange avec les disciples, curieux de savoir où Jésus était allé la veille, après les avoir quittés.

Jésus leur répond qu'il était allé "visiter une autre genération grande et sainte". À nouveau, le sourire de Jésus précède la révélation de l'identité différente de cette "génération sainte" qui ne saurait être confondue avec les générations humaines du monde d'ici-bas. Et comme précédemment, la révélation de Jésus provoque le trouble et l'agitation parmi les disciples.


La deuxième visite de Jésus, le lendemain, permet aux disciples d'évoquer une vision qu'ils ont eue : celle du Temple de Jérusalem où s'agitaient douze prêtres; mais les sacrifices qui s'y déroulaient n'étaient que péchés et actions illicites.

L'exposé de cette vision ne fait qu'accentuer l'agitation des disciples. Jésus intervient alors pour en révéler le sens véritable (39,5 à 44,14).

Comme les prêtres invoquaient le nom de Jésus dans cette vision du Temple, le lecteur comprend que Jésus interprète la vision des disciples en référence à leur propre situation : les douze prêtres correspondent aux Douze disciples, les bêtes sacrifiées devant l'autel illustrent les foules qui sont fourvoyées par les agissements des disciples prêtres ou les "diacres de l'erreur" (40,22-23). Suivent deux pages assez mal conservées (41-42) ;

Jésus y rappelle l'opposition entre la génération immortelle et les générations humaines d'ici-bas.

Pour conclure cette scène, Judas interroge Jésus sur les fruits de cette génération immortelle. Jésus promet la corruption pour les corps mortels et la vie pour les âmes qui réussiront à remonter vers les royaumes supérieurs.


L'enseignement secret transmis à Judas


Une troisième et dernière scène - la plus importante et la plus lonque de toutes - illustre l'enseignement secret que Judas reçoit de Jésus à propos des réalités sublimes (44,15 à 58,8). Judas commence par évoquer, à son tour, la vision qu'il a eue et que Jésus va interpréter : Judas se voit tout d'abord lapidé et persécuté par les disciples, puis apercoit une maison réservée aux seuls membres de la génération sainte - même la lune, le soleil et les étoiles ne peuvent y régner. Jésus évoque l'égarement des étoiles, au contraire de Judas, qui est appelé à devenir le treizième apôtre, supérieur aux Douze. Lui seul est digne de recevoir un enseignement caché sur le Royaume.Vient alors une série de révélations sur le Royaume, lieu du Grand Esprit invisible, accompagné d'un second principe - l'Autogénéré, lumineux et divin, qui crée quatre luminaires, accompagnés de myriades d'anges, tandis que l'on assiste à l'engendrement successif d'éons de lumière, de la génération de Seth, puis de 72 et de 360 luminaires. L'ensemble de ces éons immortels constitue le cosmos. On découvre alors les éons qui règnent sur le monde infernal, avant d'assister à la naissance de la génération d'Adam et à sa destinée. 


Nota: -L'AUTOGÉNÉRÉ (ou Autoengendré) désigne, dans les textes séthiens, l'enfant de Dieu. Ce mot vient du grec auto-genès, qui signifie "issu de lui-même", "engendré de lui-même". 

Certains textes gnostiques indiquent que le trône divin où est situé le fils de Dieu est entouré de quatre anges particuliers, des êtres lumineux - d'où leur appellation de LUMINAIRES - car ils correspondent à des sortes d'astres célestes.

Les ÉONS (du grec aiôn, "temps", "durée") sont les êtres célestes qui émanent de l'Être suprême, et par lesquels il exerce son action sur le monde.Dans certains textes gnostiques, les générations humaines sont distinguées de la GÉNÉRATION DE SETH, qui désigne les gnostiques eux-mêmes; seuls ces derniers connaissent la vraie nature de lésus.

Le DÉMIURGE (du grec démiourgos, "celui qui produit","qui crée") est le nom donné par les gnostiques au créateur du monde et de l'homme. Ce démiurge, qui est considéré comme un mauvais dieu, est généralement assimilé au Dieu de l'Ancien Testament.

Les ARCHONTES (du grec archôn, -ontos, "chef") désignent la puissance du cosmos. Au singulier, le terme fait référence au Démiurge qui domine le monde inférieur; au pluriel, il fait souvent allusion aux Planètes. 



Ces diverses révélations font l'objet de questions de judas et de réponses de Jésus; elles sont accompagnées d'un sourire de jésus, au début de cette troisième scène (44,19) et à la fin (55,12 et 15). Le temps des générations humaines est compté, mais la connaissance est promise à Adam et à ceux qui sont avec lui. Cette connaissance leur permettra d'échapper à la puissance du démiurge et des archontes qui dominent le monde terrestre.


Judas obéit à Jésus et le livre

Le texte s'achève par un paragraphe sur le rôle prééminent auquel Judas est appelé parmi ceux qui ont été baptisés au nom de Jésus (55,21 à 58,9) avant de conclure sur l'évocation de la trahison de Judas (58,10 à 26). En livrant Jésus, judas accomplit ce que Jésus lui demande, le mystère de la trahison; Judas manifeste ainsi qu'il est un bon disciple de la figure gnostique du Jésus véritable.



REF.: Le magasine,Religions et Histoires,numéro 11, 2006.

BIBLIOGRAPHIE

KING K.L, What is Gnosticism ?, Harvard University Press, Cambridge, 2003.

MARKSCHIES C., Gnosis, Clark International, Édimbourg-Londres, 2003.

SCOPELLO MADELEINE, Les gnostiques, Cerf-Fides, Paris, 1991.

NOTE

' Voir KASSER R., MEYER M., WURST G., L'Évangile de judas Traduction intégrale et commentaires, Flammarion-National Geographic, Paris, 2006.

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A l'envers c'est a l'endroit ,.........vous vous en appercevrez a un moment donné !