Un
message, vendredi matin, un flic : « Septimus Neverson : coupable sur
toute la ligne. Tu sais qui a rendu sa capture possible ? »
J’ai
échappé un « Yessss » bien senti en apprenant la condamnation de
Neverson. J’avais presque oublié son procès, qui est un peu passé sous
le radar ces derniers mois.
Septimus Neverson est pourtant une
authentique crapule, un fou furieux : une douzaine de violations de
domicile avec agression, un meurtre, trois tentatives de meurtre, une
traque qui s’est étirée sur des années.
Il entrait chez les gens, exigeait argent et bijoux. Et quand ses victimes hésitaient ou résistaient, il tirait.
Neverson
a frappé de 2006 à 2009, en deux vagues distinctes. La violence du
suspect inquiétait la police de Montréal, qui menait l’enquête.
Mais le plus inquiétant, c’est que la police n’avait à peu près pas d’indices pour le coincer.
Pendant longtemps, la police a couru après une ombre encagoulée à l’accent anglais des Antilles.
***
En 2010, j’ai fait le récit dans
La Presse
de la fois où la police avait failli le coincer, dans Côte-des-Neiges.
Il s’en était sorti en prenant un enfant de 10 ans en otage.
Ce
fantôme que la police traquait était d’un sang-froid et d’une efficacité
qui étonnaient les enquêteurs. Il agissait seul, alors que les
violations de domicile avec agression sont souvent le fait de petits
groupes de truands.
À l’époque, un superviseur aux crimes majeurs
du SPVM m’avait dit ceci : « C’est un gars d’un calme incroyable, même
dans les situations tendues. C’est le style de gars qui pourrait avoir
été mercenaire : il n’y a rien à son épreuve. »
Il a fini par être
attrapé, heureusement. En 2015, avec Vincent Larouche, nous avons
raconté ce que nous savions de la traque qui a permis de l’arrêter à
Trinité-et-Tobago.
***
Un message, vendredi matin, un flic : « Septimus Neverson : coupable sur toute la ligne… »
Je suis allé sur l’appli de
La Presse.
Neverson, son regard de porc frais, impassible, coiffait l’article de
Louis-Samuel Perron : coupable des 54 chefs d’accusation, il risque la
prison à vie. J’ai eu une pensée pour Jacques Sénécal et sa famille.
M. Sénécal a été tué en 2006 par Neverson…
« … Tu sais qui a rendu sa capture possible ? »
Je savais. Je ne l’avais jamais écrit.
La police a longtemps nagé en plein mystère. Elle n’avait que quelques indices…
L’accent
des Antilles, fort probablement de Trinité : une de ses victimes, qui
avait parlé avec Neverson, était de Trinité. Cet accent-là était pour
elle aussi reconnaissable que pour un Québécois qui entend l’accent du
Lac à l’autre bout du monde.
Un autre indice : une échelle,
laissée sur place lors de l’attaque de Côte-des-Neiges. Cela a mené la
police dans une quincaillerie, où elle a obtenu une photo floue du
suspect.
Et cet indice, capital, trouvé grâce à la minutie des
techniciens de scène de crime du Service de police de Laval : sur un fil
provenant d’un gant de Neverson, la police a trouvé du matériel
génétique microscopique. L’ADN du tueur. Mais même cet indice débouchait
sur un cul-de-sac : l’ADN du suspect ne se trouvait dans aucune base de
données policière.
Quelques indices, donc. Qui ont fini par
aider grandement la police. Voyez ces indices comme des dominos, prêts
à tomber jusqu’à Septimus Neverson…
Mais il manquait le premier domino, celui qui allait faire tomber les autres.
En
2011, l’équipe de policiers qui traquait le fantôme Neverson s’est mise
en dormance. Le suspect avait cessé de frapper. Et l’enquête n’allait
nulle part.
Mais en novembre 2013, le déblocage est survenu.
Quelqu’un s’est présenté dans un poste de police et il a demandé de
parler à un enquêteur en particulier.
Le nom de cet enquêteur est Fayçal Djelidi.
***
Je
connais Fayçal Djelidi, je ne peux pas le cacher. L’affaire de mon
espionnage du SPVM en 2016, ça part de Djelidi. C’est lui qui a été
injustement arrêté avec d’autres policiers en juillet 2016 sous des
prétextes qui étaient si stupides et si surréalistes que la cause s’est
écroulée devant les tribunaux.
Le fait que Fayçal Djelidi était en contact avec moi, journaliste à
La Presse, a été utilisé comme prétexte pour le faire piéger par les affaires internes. Je l’ai dit à plusieurs reprises.
Djelidi,
excellent enquêteur, a un talent particulier pour recruter des sources
dans le milieu criminel. À l’époque où il œuvrait dans la lutte contre
les gangs de rue, c’était une de ses grandes forces : les sources.
Je
précise que Djelidi ne m’a jamais donné de secrets d’enquête. Il m’a
souvent expliqué « comment ça marche », dans la rue, dans le milieu
criminel, dans la police, dans ce métier qu’il adorait…
Fayçal
Djelidi était donc « connu » dans la rue pour être un policier fiable, à
la réputation « clean » avec ses sources. Et il avait beaucoup
de sources, ce qui l’aidait dans ses enquêtes.
Or, quand la
source s’est présentée au poste de police, en ce jour de
novembre 2013 pour dénoncer Septimus Neverson, Djelidi ne connaissait
pas la source.
Mais la source le connaissait, lui, de réputation.
La
source a tout balancé : l’identité de Neverson, son modus operandi, les
endroits où il avait frappé, l’identité et le quartier de résidence de
sa fille habitant à Montréal…
Et un objet volé lors d’un braquage.
De
l’état de « dormance », l’enquête policière est passée en cinquième
vitesse. On a formé une escouade mixte de Gestion d’enquête de criminel
en série (GECS) composée de policiers de la SQ, du SPVM et de Laval pour
le traquer. La source de Djelidi a reçu le statut d’ACI, « agent civil
d’infiltration », et a participé activement à l’enquête pour capturer
Septimus Neverson. Et Fayçal Djelidi s’est joint au GECS.
Un peu plus de deux ans plus tard, Septimus Neverson était arrêté chez lui, à Port of Spain.
***
Entre novembre 2013 et février 2015, la police est donc passée en cinquième vitesse pour monter le dossier et trouver Neverson.
Un travail admirable, où ils ont déployé des trésors d’imagination pour jeter leurs filets…
Un exemple ?
La
fille de Neverson habite Montréal. Elle a une petite fille. Pour
crédibiliser certaines informations et faire un lien entre
Neverson – alias David Munroe, nom figurant sur son faux passeport
canadien – et Montréal, il fallait établir si cette femme était en effet
la fille de Septimus Neverson.
Comment établir ce lien de filiation ?
Avec l’ADN.
Les
policiers ont élaboré un scénario hollywoodien pour obtenir l’ADN de la
fille de Neverson et de sa petite-fille sans éveiller les soupçons. Ils
se sont déguisés en mascottes et ont inventé un faux concours pour
gagner un voyage à Disney…
Et ils ont intercepté les enfants qui passaient sur une rue d’un quartier de Montréal, pour leur faire remplir un formulaire…
Et leur faire boire un petit verre de jus. Ainsi qu’à leurs parents.
Cette
mise en scène visait uniquement à recueillir l’ADN de deux personnes
soupçonnées d’être la fille et la petite-fille de Septimus Neverson.
La
mise en scène a fonctionné. Les policiers ont réussi à faire boire du
jus à la fille de Neverson et à sa petite-fille. Les deux verres de
plastique ont été conservés dans une poubelle distincte. Et les analyses
en laboratoire ont démontré que l’ADN recueilli à Laval sur la scène du
meurtre de Jacques Sénécal était indubitablement lié à la femme et à sa
petite-fille qui ont bu le jus tendu par les policiers déguisés en
mascotte…
Quand j’ai contacté Djelidi ce week-end, il n’avait qu’une seule chose à me dire : « Gros travail d’équipe. »
Gros
travail d’équipe sous la direction du commandant Pascal Côté du SPVM,
travail qui va vraisemblablement envoyer Septimus Neverson en prison
jusqu’à la fin de ses jours.
***
La police a donc travaillé de façon admirable.
Mais
chaque indice a fini par former un tout cohérent quand l’enquêteur
Djelidi a reçu les confessions d’une source qui avait entendu parler de
lui dans la rue. Et qui a fait confiance à Djelidi avec son secret,
l’identité d’un dangereux criminel qui n’hésitait pas à tuer.
Mais
tragiquement, trois ans plus tard, Djelidi se faisait piéger avec
d’autres enquêteurs du SPVM dans une enquête interne si mal ficelée
qu’elle est devenue une crise politique qui a fini par déboucher sur une
commission d’enquête et la démission du directeur du SPVM.
L’enquête
contre Djelidi et ses coéquipiers était politiquement dirigée, menée
par les inspecteurs Gadget des Affaires internes du SPVM, ces
incompétents qui ont menti éhontément dans des mandats de perquisition
si puants que la Couronne a fini par retirer les accusations…
D’où
l’immense ironie de la culpabilité de Septimus Neverson aux 54 chefs
d’accusation qui pesaient contre lui :
Fayçal Djelidi, décoré pour son
travail dans cette enquête, n’est à ce jour toujours pas réintégré comme
enquêteur au sein du SPVM.
Juste avant d’envoyer ce texte à
La Presse,
j’ai envoyé un texto à Djelidi, si durement éprouvé par l’incompétence
des enquêteurs des Affaires internes,
je lui ai parlé comme ils se
parlent entre eux…
Je lui ai dit : Oublie jamais que t’es une bonne police.
REF.: