Une enquête qui dure sept mois et
qui vise des policiers de Montréal : cinq policiers sont arrêtés. Du
lot, deux policiers sont accusés, notamment de parjure et d'abus de
confiance. C'est une bombe qui éclate en juillet 2016. C'est le Projet
Escouade.
Les deux policiers sont des enquêteurs, Fayçal Djelidi et David
Chartrand, qui traquent les gangs de rue dans la région Ouest de l'île.
C'est dans le cadre de cette enquête que le Service de police de la
Ville de Montréal (SPVM) obtient le droit - inusité, controversé - de
m'espionner.
Le Projet Escouade naît donc à la fin de 2015 et est mené par les
Enquêtes spéciales du SPVM, puisqu'il vise des policiers. Tout commence
quand un informateur fait l'objet d'une vérification aléatoire par le
Module de contrôle des informateurs (MCI).
Cet informateur donne au MCI des renseignements troublants : un policier
du nom de «Fayçal» mettrait de la drogue dans les poches de suspects
pour les forcer à collaborer avec lui.
Une information explosive.
Mais...
***
Avant d'aller plus loin, clarifions les termes.
«Informateurs» : la police de Montréal a des milliers d'informateurs.
Ils sont fichés. Certains sont payés pour informer la police. Cela peut
mener à des arrestations de personnes, à des saisies de drogue.
Exemple : 1000 $ pour une info menant à la capture d'un fugitif
recherché.
Plus les renseignements d'un informateur portent leurs fruits, plus ses
indices mènent à des succès policiers - arrestations, saisies -, mieux
il est payé.
L'inverse est vrai : un informateur qui fournit des renseignements peu utiles est peu payé. Ou pas payé du tout.
Le MCI, lui, gère les procédures selon lesquelles les policiers de Montréal interagissent avec leurs sources.
Le MCI peut faire des contrôles aléatoires de sources. Au hasard, donc,
il communique avec la source A pour vérifier si le policier B lui a bel
et bien remis une somme de X, à la date Y. Et pour vérifier si la source
A a bel et bien refilé au policier B les informations W et Z contenues
dans le rapport dudit policier.
Sans ces informateurs, sans ces dollars refilés aux informateurs, le
travail de la police de Montréal serait beaucoup plus difficile.
***
L'information sur ce «Fayçal», sur Djelidi, était explosive, disais-je plus haut.
Pensez : un policier «planterait» de la drogue dans les poches de
suspects pour les forcer à collaborer. Si c'est vrai, c'est un crime; un
piratage de justice.
J'ai aussi dit ceci : «mais...»
Mais permettez que je cite le document soumis à la cour par le détective
Normand Borduas au sujet de cette source présumée fiable qui n'est pas
nommée :
«L'informateur n'a jamais été rémunéré [...] l'informateur a "des
épisodes paranoïaques en lien avec sa sécurité, présentement il se sent
suivi par des policiers"...»
Bref, ce qui lance une enquête de sept mois, ce sont les allégations
d'une source paranoïaque dont les informations n'ont jamais été assez
bonnes pour lui valoir un sou du SPVM.
Bizarre...
Je cite un ancien enquêteur du SPVM à propos de la «qualité» de la
source qui lance le Projet Escouade, il a lu la description faite de la
source : «C'est de la merde. Une bonne source est une source rémunérée
[...] C'est pas assez pour partir une enquête.»
Bizarrerie n
o 2 : à la fin de 2015, une plainte a été portée à
l'interne contre un policier du MCI pour une insulte lancée à propos de
Djelidi. Peu après cet incident, boum, le MCI fait ce contrôle
aléatoire d'un informateur... Qui incrimine ce «Fayçal».
Bizarrerie n
o 3 : pourquoi perdre du temps à contrôler une
source qui n'a jamais donné de renseignements assez fiables pour lui
valoir une récompense?
Bizarrerie n
o 4 : parmi les cinq policiers arrêtés se trouve
un policier, Denis B. : celui-ci a écrit une lettre pour se plaindre de
l'ingérence d'un membre haut placé du SPVM, quelqu'un de la garde
rapprochée du chef Philippe Pichet, dans une enquête criminelle, fin
2015. Un hasard, sûrement : peu après cette plainte de Denis B.,
l'enquête Projet Escouade est lancée, dans laquelle il sera arrêté (mais
la Couronne refusera de l'accuser).
On décrypte trois choses des cinq premiers mois du Projet Escouade en
lisant les déclarations sous serment soumises par l'enquêteur Borduas à
des juges :
1) Djelidi fréquente des salons de massage érotique (une infraction pénale, et non pas criminelle) ;
2) Djelidi a des contacts téléphoniques avec un journaliste de
La Presse : moi ;
3) Il est aussi question de matériel informatique utilisé de façon non réglementaire par Djelidi.
Selon plusieurs policiers à qui j'ai parlé depuis l'été dernier, pour
cinq mois d'une enquête impliquant de l'écoute électronique, de la
filature, de l'interception de métadonnées et du monitorage par
GPS : c'est mince, comme bilan du Projet Escouade, au printemps 2016.
Ce qui nous amène à la bizarrerie n
o 5 : l'histoire de la
drogue supposément plantée par Djelidi ne revient jamais dans les
déclarations sous serment signées par l'enquêteur Borduas, au fil de son
enquête.
C'est pourtant ce qui justifie le déclenchement du Projet Escouade.
Qu'a-t-on fait pour établir la véracité de cette information qui
constitue la genèse du Projet Escouade?
Seul l'enquêteur Borduas le sait.
Et il n'a pas répondu à ma demande d'entrevue, hier.
***
Après cinq mois d'enquête aux maigres résultats, on finit par envoyer un
agent double de la GRC dans les pattes du groupe d'enquêteurs, pour les
appâter : l'agent double affirme qu'il sait où la police peut trouver
une importante cargaison de drogue. C'est Denis B. qui est ciblé par la
manoeuvre.
L'agent double de la GRC donne des détails sur la drogue aux policiers
du groupe de Djelidi et Chartrand. Disons les détails A, B et C : où,
quand, comment trouver la dope.
Les accusations de parjure et d'abus de confiance déposées contre
Djelidi et Chartrand tiennent à ceci : ils sont soupçonnés d'avoir pesé
fort sur le crayon en demandant leur mandat de perquisition... D'avoir
ajouté, disons, un D aux A, B, et C de l'agent double de la GRC.
Est-ce vrai?
On verra si ça tient en cour.
Mais on est loin, très, très, très loin de l'information initiale qui
voulait qu'un «Fayçal» plantait de la drogue dans les poches de
suspects, tel que l'affirmait un informateur anonyme qui a des «épisodes
paranoïaques», dont la qualité des infos ne lui a jamais valu un dollar
du SPVM et qui a été contrôlé par le MCI, dont un des policiers est
visé pour des insultes à l'endroit de Fayçal Djelidi.
Bizarre, encore.
***
Finalement, cinq policiers ont été arrêtés dans le Projet Escouade. Mais
la Couronne n'a accepté de déposer des accusations que pour deux
d'entre eux, Djelidi et Chartrand.
C'est à l'image du bilan de plusieurs dossiers majeurs lancés par les
Enquêtes spéciales et les Enquêtes internes - toutes deux dirigées
jusqu'à récemment par le commandant Costa Labos -, quand elles ont ciblé
des policiers du SPVM, ces dernières années.
Ces policiers visés par des enquêtes d'envergure ont ceci en commun,
qu'ils soient cadres ou syndiqués : ils n'ont jamais été reconnus
coupables.
Je répète : jamais.
Ils s'appellent Philippe Paul, Mario Lambert, Joe Di Feo, Jimmy
Cacchione, Tony Bianco, André Thibodeau, Annie Lavoie, Roger Larivière.
Et trois policiers de la section des agents d'infiltration.
Autant d'enquêtes en forme de montagnes qui ont accouché de souris en
forme de suspension ou de départ à la retraite ou d'acquittements en
cour.
Ce soir à l'émission
J.E., le journaliste Félix Séguin présente
un reportage sur les Enquêtes spéciales du SPVM. Selon ce que j'en
sais, le matériel colligé par Félix Séguin est explosif. Si j'étais le
ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux, je programmerais mon
enregistreur numérique pour 19h30, à TVA.
La police de Montréal est le plus important corps de police au Québec,
et ses enquêtes ont des ramifications provinciales. Ces dernières
années, le SPVM a été secoué par des scandales terribles, je pense
notamment aux taupes Ian Davidson et Benoit Roberge, deux policiers qui
ont trahi la police au profit du crime organisé.
Mais les enquêtes remplies de bizarreries - et d'échecs - menées par les
Enquêtes spéciales du SPVM constituent un autre de ces scandales qui
minent le SPVM, un scandale dont on commence à deviner les contours.
Ces scandales regorgent de questions...
Les Enquêtes spéciales constituent-elles le bras armé de la direction du
SPVM pour régler des problèmes politiques qui pourraient l'éclabousser?
Pendant le Projet Escouade, des policiers qui n'avaient rien à se
reprocher ont vu leurs conversations interceptées quand ils parlaient
avec les cibles de l'enquête. Les paroles de certains de ces policiers
ont été utilisées dans un cadre disciplinaire parce qu'ils ont critiqué
le SPVM dans des conversations (qu'ils croyaient) privées. Pourquoi?
Plusieurs des policiers arrêtés au fil des années par les Enquêtes
spéciales étaient réputés avoir de très bonnes sources dans le crime
organisé. Ils ont tous été embêtés par leur propre service de police. Je
ne pose pas de question, ici. Je note.
Les policiers des Enquêtes spéciales enquêtent sur les policiers du SPVM : qui enquête sur les policiers des Enquêtes spéciales?
Tant de questions...(NDLR: quand on a trop de question on est porté a penser a un État Politisé,la GRC et la Mafia)
Source.: