JÉSUS "LIVRÉ" : MAIS PAR QUI ?(selon évangile de Judas)
Cette idée de "livrer" le Christ serait-elle une allusion voilée à l'histoire de judas qui trahit Jésus?
C'est possible, mais pas certain. Le verbe grec paradidômi signifie "remettre", "transmettre" ou "livrer", et il n'a en soi aucune connotation négative ('idée de "trahir" est exprimée en grec par un autre composé du même verbe : prodidômi), même si on le trouve aussi utilisé pour désigner l'acte de livrer quelqu'un avec une connotation de trahison, comme par exemple dans la Guerre des Juifs - un récit de la révolte juive contre Rome de 66-70, écrit par l'historien juif Flavius Josephe - où un personnage "livre" sa patrie à l'ennemi après avoir reçu des promesses (4,523). Mais le verbe peut aussi bien désigner la transmission de la révélation divine (par exemple en Matthieu 11,27 ; Lc 10,22 "tout m'a été transmis par mon Père"). Paul l'utilise dans ce même verset (1 Co 11,23), lorsqu'il introduit la tradition qu'il rapporte, pour dire "J'ai reçu de la part du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis". En latin, le verbe correspondant est trado, qui est lui aussi neutre, mais d'où viennent nos mots "trahir", "traître", trahison".
D'autres; on dit que "le Seigneur l'a livré pour nos péchés" (Is 53,6) et que "son âme a été livrée à la mort" (verset 12) ; le verbe employé dans la traduction grecque dite des Septante - celle qui fut utilisée en premier lieu par les croyants en jésus - est paradidômi. Ce passage fut exploité très tôt pour expliquer la portée salvatrice de la mort de jésus et c'est probablement lui qui inspira des énoncés affirmant que Jésus avait été "livré", en rapport avec sa Passion et sa mort.
Mais cet acte est loin d'être toujours attribué à Judas. Paul parle du "fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré lui-même pour moi" (Galates 2,20) et affirme que Jésus "fut livré à cause de nos transgressions et fut ressuscité à cause de notre justi-fication" (Romains 4,25) : puisque le contexte affirme clairement que c'est Dieu qui l'a ressuscité, et s'il y a parallélisme entre ces deux passifs, on peut en déduire que c'est aussi Dieu qui l'a livré.
C'est, du reste, ce que Paul déclare plus loin dans la même lettre : Dieu "n'a pas épargné son propre fils mais l'a livré pour nous tous" (Romains 8,32). Le fait de livrer Jésus représente donc ici un acte d'amour. Ailleurs dans le christianisme des origines, le verbe est utilisé avec une connotation hostile, comme en Matthieu 27,18 où on lit que Pilate "savait [que les grands-prêtres et les anciens] l'avaient livré par jalousie"; ou comme dans la mise en scène d'un discours missionnaire de Pierre dans les Actes des Apôtres 3,13, où Pierre parle aux habitants de Jérusalem de l'exaltation de ce "Jésus que vous avez livré et renié devant Pilate".
LA CONSTRUCTION DE LA FIGURE DU DISCIPLE TRAÎTRE
Des sources contradictoires
Il est bien possible que le souvenir d'un disciple de Jésus ayant joué un rôle dans son arrestation ait fini par être rattaché au fait qu'il ait été livré, en caractérisant de plus en plus cette action comme une trahison. Mais que disent nos sources sur ce disciple ? I est absent de ce que les modernes appellent la "source des paroles de Jésus" et désignent par le sigle Q - document dont la forme la plus ancienne peut remonter aux années 50 et qui a été utilisé par Matthieu et Luc comme autre source à côté de l'Évangile de Marc (ce qui permet de le reconstituer dans une certaine mesure). Cet écrit ne comportait pas de récit sur la Passion, même s'il contenait des allusions à la mort violente de Jésus.
Nota: La version des SEPTANTE (dérivé du latin classique septua-ginta, "soixante-dix") est une traduction grecque de la Torah, qui aurait été réalisée à Alexandrie par 70 ou 72 érudits à partir du Ille siècle avant notre ère ; par extension, elle désigne la version grecque ancienne de l'Ancien Testament chrétien.
L'évangile probablement le plus ancien, celui de Marc (vraisemblablement écrit autour de 70), mentionne Judas en dernier dans la liste des Douze choisis par Jésus pour les associer à son œuvre qui consiste essentiellement, selon cet évangéliste, à annoncer l'Evangile (C'est-à-dire la Bonne Nouvelle) du Royaume et à expulser les démons (3,14-19).
Le dernier de la liste est "Judas l'Iscariote, qui aussi le livra". Cette précision rattachée au nom trouve son parallèle inversé dans les trois cas où, en racontant le rôle joué par Judas dans l'arrestation de Jésus, Marc précise qu'il était "'un des Douze" (14,10.20.43). Les exégètes admettent qu'au moins la dernière de ces mentions, située dans la scène proprement dite de l'arrestation, appartenait au récit ancien de la Passion, que Marc a repris et retravaillé; en général, il paraît probable que cette désignation ait été largement appliquée à Judas dans la tradition antérieure à Marc, où elle exprimait la forte impression suscitée par le fait que, précisément, l'un des Douze avait livré Jésus.
C'est ce que paraissent confirmer deux autres remarques. L'Évangile de Jean atteste le même énoncé sur Judas : "car celui-ci devait le livrer, l'un des Douze !" (6,71) ; s'il est indépendant des trois autres évangiles canonisés, comme l'admettent la plupart des exégètes, l'énoncé doit remonter à une tradition ancienne. En outre, le fait que des neuf occurrences de l'expression "l'un des Douze" dans les écrits du Nouveau Testament, huit concernent Judas (l'exception étant représentée par Jean 20,24 qui concerne Thomas) va dans le même sens. Nous rejoignons ainsi, semble-t-il, une tradition antérieure à Marc selon laquelle judas, l'un des Douze, avait livré Jésus aux autorités du Temple de Jérusalem, qui à leur tour l'avaient livré à l'autorité romaine.
Les douze, des disciples rassemblés par le Christ ?
Quant a savoir si cette représentation correspond a des faits, c'est une autre question Des savants modernes, a commencer par Julius Wellhausen a la fin du XiX ième , ont mis en doute l'affirmation que Jésus avait créé le groupe des Douze. Une formule de foi très ancienne (probablement des années 30),citée par Paul en 1 Corinthiens 15,3-5, affirme que Jésus ressuscité "se fit voir à Képhas, puis aux Douze". Ces savants ont fait remarquer que judas n'avait sûrement pas vu le Ressuscité - étant mort peu de temps après l'avoir livré - et que les bénéficiaires de cette manifestation auraient donc dû être onze; c'est pourquoi ils ont émis l'hypothèse que c'est précisément cette manifestation du Ressuscité à un groupe de disciples qui aurait entraîné la naissance du groupe des Douze comme témoins privilégiés de la résurrection. Ensuite, on aurait projeté l'image de ce groupe sur la vie de Jésus, en l'intégrant à cette vie. Il n'est pas possible de discuter ici, dans le détail, de cette reconstitution, qui est cependant fragile; la désignation "les Douze", sans doute fortement symbolique - c'est une allusion aux douze tribus d'Israël, qui caractérise ce groupe comme le noyau de l'Israël appelé par Jésus à entrer dans le Royaume -, devait s'être consolidée à tel point que l'on pouvait l'utiliser pour faire référence au groupe même lorsqu'il n'était pas complet.
Des sources anciennes et indépendantes les unes des autres attribuent à jésus la création des Douze; d'autres, au contraire, admettent que jésus fut effectivement livré par l'un de ses disciples, mais estiment que ce n'est que plus tard qu'on a fait de ce personnage l'un des Douze, constitués en réalité après la mort de Jésus, et finissent par créer des scénarios tordus et peu vraisemblables. Cela dit, on ne comprend pas pourquoi il aurait fallu inventer que celui qui avait livré Jésus était l'un des disciples choisis par ce dernier : c'était un élément gênant pour des croyants en Jésus qui, visiblement, ont dû s'efforcer de lui donner une explication rationnelle en allant rechercher des prophéties aptes à justifier cet étrange choix du Christ. Historiquement, il est donc tout à fait vraisemblable que Jésus ait été livré aux autorités juives (ou romaines ?) par un membre du groupe le plus restreint de ses disciples.
L'origine du surnom ISCARIOTE accolé au nom de judas est sujette à controverses :
il pourrait signifier, en araméen, l'homme de Kérioth (ville non encore identifiée à ce jour), être un sobriquet signifiant "traître", ou venir du mot sicaire (du latin sicarius, "porteur de dagues"), synonyme de zélote, personne qui combat le pouvoir.
UN PORTRAIT STERÉOTYPÉ QUI VA S'IMPOSER
Ces quelques exemples nous ont permis de suivre, dans une certaine mesure, la formation du stéréotype de Judas. Nous ne saurons sans doute jamais pour quelles raisons il a collaboré à l'arrestation de jesus, mais la tradition a très rapidement développé cet épisode en deux directions partiellement contradictoires ; l'action de Judas qui a rendu possible la mise à mort correspondait a un projet de Dieu et était nécessaire pour le salut de humanité, mais dans le même temps, l'homme qui l'avait accomplie avait commis la plus horrible des fautes (dans le premier christianisme, il n'a d'ailleurs jamais été question, à notre connaissance, d'appliquer à Judas ce pardon si fondamental dans la prédication de Jesus).
Ce disciple stigmatise comme traître s'est vu attribuer, progressivement, toute sorte de traits négatifs : il devient posséde par le demon, voleur, avare, incrédule. Pour finir, on s'est évertué à decrire sa mort atroce, à grand renfort de descriptions horrifiantes, mais conformes au sort funeste que connaissent les ennemis de Dieu et les responsables de la souffrance et de la mort des justes. C'est le tableau qui, avec des variations sans fin, allait dominer l'histoire du christianisme.
Pourtant, bien avant que nous nous interrogions à nouveau sur les motivations de Judas, des groupes du ll e siecle, liquides ensuite par l'orthodoxie triomphante en raison de leur caractere gnostique, avaient deja présenté ce personnage comme l'un des champions de la revolte contre le Dieu de la Lol, au chatiment et des miseres de ce monde. L'Evangile de Judas est venu nous stituer l'une de ces rares voix, vite étouffées par le noir portrait du disciple maudit dont nous avions rapidement observé la mise en place •
REF.: Le magasine,Religions et Histoires,numéro 11, 2006.
BIBLIOGRAPHIE:
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[etc.], 1987.
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OBINSON JAMES McCOnKEY, The Secrets of Judas. The Story of the lisunderstood Disciple and His Lost Gospel, HarperSanFrancisco, lew York, 2006.
OULLARD CATHERINE (éd.), Judas, Autrement, Paris, 1999. Xxxxx
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A l'envers c'est a l'endroit ,.........vous vous en appercevrez a un moment donné !