"le défi initial de Facebook " avait été pour son "fondateur" de faire
élire la fille la plus jolie du campus et de remarquer tout de suite les
excès possible en cherchant à faire élire la fille la plus moche du
campus..
L’autre soir, alors que je traînais (encore) mon être sur les réseaux sociaux, je reçois un message d’une amie.
C'est Emilie qui a "absolument" besoin d’un conseil : elle se prépare à
changer sa photo de profil. Le truc, c’est qu’elle hésite, elle ne veut
pas se planter tu vois. Elle a deux options.
Sur la première, on voit son reflet dans un miroir accroché au
plafond de quelque part, c'est globalement noir et blanc et flou (j'ai
nommé la photo "Ah bon je suis stylée"). Sur l’autre, on la voit sur la
plage, lunettes de soleil sur le nez et poitrine bombée (c'est la
classique "Ah bon je suis bonne").
Emilie me demande de ne pas trop traîner à répondre "parce que là
c’est le bon moment pour poster". Ce jour là, sur mes bons conseils,
elle a fait un carton virtuel (j'ai choisi la plage) et elle m’a envoyé
un truc genre "BOUYAA".
J'ai trouvé ça drôle et inquiétant. Le comportement d'Emilie illustre parfaitement les
récentes sorties virulentes d'anciens dirigeants de Facebook dénonçant les problèmes d'addiction à la plateforme qu'ils ont créée.
« We did it anyway »
Cet article de
The Verge résume bien les déclarations tenues, en novembre dernier, par
Sean Parker, ancien président de Facebook, qui se présente aujourd’hui
comme un "objecteur de conscience".
Lors d’un évènement tenu par le média Axios, Sean Parker expliquait que le défi initial de Facebook avait été le suivant :
"Comment pouvons-nous consommer un maximum de votre temps et de votre attention ?"
Parce que c’est bien beau de construire un monde
plus ouvert et plus connecté, mais ça fait pas bouillir la marmite.
Sean Parker explique comment les créateurs de Facebook ont imaginé un
système fondé sur une « boucle de rétroaction de validation sociale »
basée sur des shots de dopamine (susucres) envoyés au cerveau.
Des boucles dites de rétroaction ou de feedback qui vous poussent
ensuite à publier encore, et constamment. Parce que vous voulez plus de
like, de cœurs, de « trop belle ma chérie ».
"C’est exactement le genre de trouvaille d’un hacker dans mon genre : vous exploitez une faille dans la psychologie humaine.
Et je crois que les inventeurs, les créateurs – c’est moi, c’est Mark
[Zuckerberg, ndlr], c’est Kevin Systrom pour Instagram, ce sont tous
ces gens – nous avions conscience de cela. Mais nous l’avons fait quand
même."
Le cerveau de nos enfants
Pas besoin d’être psy pour voir que les réseaux sociaux – c’est Facebook, mais aussi Twitter,
Instagram, Snapchat, etc. – nous rendent un peu fous.
C'est
votre mec qui regarde Instagram quatre fois pendant le dîner parce
qu'il vient de poster une vidéo de ses spaghetti, votre belle-mère qui
raconte sa thalasso en live, votre meilleur ami qui live-tweete son
dîner de Noël.
"Ça change littéralement notre relation à la société, aux autres (…).
Et Dieu seul sait ce que ça fait aux cerveaux de nos enfants !", dit
Sean Parker.
Cela l'active en tout cas. Regardons du côté de la chimie cérébrale.
Selon
une étude de
plusieurs psychologues de l’Université californienne UCLA, lorsque nous
découvrons du contenu digne d’intérêt sur les réseaux sociaux, l’une
des premières régions de notre cerveau à s’activer est le carrefour
temporo-pariétal : la zone du cortex qui nous pousse à échanger avec nos
semblables.
C’est-à-dire que notre réaction inconsciente à un nouveau contenu va
être de se demander s’il est susceptible d’intéresser les autres. Et ça,
c’est le
share de Facebook, qui a tout compris.
On partage un article, une chanson ou une photo de soi.
Ensuite les
likes, commentaires, identifications et autres invitations, toutes ces petites récompenses pour lesquelles il suffit d’
actionner de simples leviers, donnent l’impression d’être entouré d'amour (et déclenche la chimie du bonheur, le couple ocytocine et dopamine etc).
La dopamine permet la boucle. C'est un neurotransmetteur qui
joue un rôle dans la motivation et le système de récompense.
La cocaïne et Facebook
Ofir Turel,
qui a étudié le cerveau d'étudiants dont
certains étaient accros à Facebook, a montré que certains d'entre eux
réagissaient plus vite aux stimuli du réseau social qu'à ceux du Code de
la route.
Son étude a notamment montré que l'utilisation de Facebook active l'amygdale, zone du cerveau
impliquée dans l'évaluation de la valence émotionnelle
des stimuli sensoriels. Et le striatum, où se joue, en collaboration avec la dopamine, c
e qui est de l’ordre du motivationnel.
Le chercheur de l'université Fullerton en Californie a commenté :
"Quand on regarde le cerveau des gens qui ont une addiction à
Facebook ou à la cocaïne, il y a des similitudes et des différences. Les
deux groupes ont un surcroît d'activité dans les zones motivationnelles
du cerveau, mais dans le cas de drogués seulement, on voit des
perturbations dans les zones liées à l'inhibition."
Chez les accros à Facebook.
Hypothèse
: comme l'utilisation de Facebook n'est pas encore perçue comme toxique
ou négative, les zones liées au contrôle du comportement ne sont pas
encore mobilisées par les utilisateurs.
Utilisation hardcore
Bref, Facebook est un joli foyer d’émotions positives.
Laurent Karila, psychiatre à l’hôpital Paul Brousse (APHP) et auteur,
avec Annabel Benhaiem, de "Accro !" (éd. Flammarion, 2013) décrit un
"neuromarketing addictif". Il m’explique au téléphone, après que nous
ayons été coupés par l’un de ses patients, justement addict aux
écrans :
"Sur les réseaux, les gens peuvent se créer un hypervisage, par le
biais d’une nouvelle sociabilité. Ils peuvent se créer une
cyber-identité, pleine d'assurance, qui leur procure beaucoup de
plaisir. Tellement qu'ils ne peuvent plus s'en passer et vont la
vérifier tout le temps."
Mais Laurent Karila se veut rassurant :
"On peut parler d’une addiction aux réseaux sociaux, oui, il y a des
mécanismes similaires à la drogue qui entrent en jeu. Mais les deux
milliards d’utilisateurs de Facebook ne sont pas tous addicts. Tous les
utilisateurs ne sont pas exposés de la même manière.
Seules certaines personnes très vulnérables en font une utilisation
hardcore. Des comportements qu’on trouve chez certains jeunes en
particulier."
Alors OK, nous ne sommes pas deux milliards d’héroïnomanes. Mais deux
milliards d’utilisateurs, c’est quand même plus du quart de l’humanité.
Imaginez le nombre de shots de dopamine.
On vous en parlait déjà de ça dans
cet article, où l’on citait James Williams (un ancien de Google cette fois).
"Nous en sommes arrivés à une industrie de la persuasion à grande
échelle, qui définit le comportement de milliards de gens chaque jour.
Et seulement quelques personnes ont leurs mains sur les leviers."
Les lynchages en Inde
Sean Parker n’est pas le seul ancien de Facebook à avoir exprimé des
inquiétudes et des remords. Plus récemment, Chamath Palihapitiya, ancien
vice-président de Facebook, s’est aussi positionné publiquement sur la
question, lors d’une conférence à la Standford Graduate School of
Business.
Dans cette intervention filmée, celui qui était chargé de la
croissance de l’audience, exprime une « énorme culpabilité » pour avoir
participé au succès de Facebook. Il évoque aussi ces "boucles de
rétroaction" basées sur la dopamine, mais il va encore plus loin :
"Nous avions conscience, au fond, que quelque chose de mal pourrait
arriver. (…) Je crois que nous avons créé des outils qui déchirent le
tissu social. Nous en sommes vraiment là."
Pour illustrer son propos, Chamath Palihapitiya (qui
a depuis rétropédalé sur sa page Facebook) revient sur
cet incident survenu en Inde au mois de mai : après la diffusion d'un spam (ce que l’intéressé nomme un
hoax)
sur la messagerie cryptée WhatsApp, des émeutes ont éclaté dans un
petit village du Jharkhand, menant au lynchage de sept personnes par une
foule en délire.
"C’est à ça que nous avons affaire. Et imaginez, si on pousse le
raisonnement à l’extrême, comment des acteurs mal intentionnés
pourraient ainsi manipuler un grand nombre de personnes."
« Vous êtes programmés »
En novembre encore, le New York Times
publiait les remords de Sandy Parakilas, une ancienne cadre de l’entreprise, qui s’inquiétait à propos des questions de vie privée.
On pense aussi à Antonio Garcia Martinez, qui avait travaillé deux
ans chez le géant des réseaux sociaux, avant d’écrire « Chaos Monkeys »
(HarperCollins, 2016), un livre dans lequel il décrit d’un ton décapant
son quotidien à l’époque. De son côté, Chamath Palihapitiya nous
interpelle :
"Vous ne le comprenez pas, mais vous êtes programmés.
Maintenant, c’est à vous de décider ce que vous voulez abandonner, à
quel point vous êtes prêts à renoncer à votre indépendance
intellectuelle."
Sa solution ?
Faire un break avec les réseaux sociaux, tout simplement. Lui-même interdit « cette merde » (
sic) à ses enfants.
Changer nos comportements
"Cette merde" ne se cache même plus. La start-up Dopamine Labs, qui a
été fondée par un neuropsychologue et un neuroéconomiste (oui c'est une
profession), a récemment reçu des critiques similaires à celles
formulées contre Facebook.
Leur idée ? Ils proposent aux entreprises de rendre leurs
applications addictives grâce à des processus faisant appel à
l’intelligence artificielle.
T. Dalton Combs, l’un des fondateurs de la boîte, s’expliquait dans
un article de Slate, créer de l'addiction par de l'habitude, des message de félicitation et toutes sortes de "susucres" numériques :
"Ce que nous essayons de montrer, c’est que ces technologies qui
changent le comportement des gens peuvent être utilisées de façons
différentes.
Pour le moment, c’est surtout utilisé par les réseaux sociaux, ou les
publicitaires, pour augmenter le temps d’utilisation de leurs
plateformes.
Mais elles peuvent aussi être utilisées pour vous aider à prendre vos
médicaments à l’heure. Ou pour aller régulièrement à la gym."
Voyez ce monde où l'on sera accueillis à la salle de gym par les vibrations de notre portable. Des
like de nos amis, des confettis sur Messenger et des "go Juliette, go".
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