Ça arrive rarement. C’est plutôt le contraire qui se produit. Généralement, nous sommes poursuivis par des gens ou des entreprises qui n’aiment pas nos enquêtes. Cette fois-ci, c’est nous qui avons entrepris des procédures judiciaires. La personne visée est la coroner Renée Roussel, qui enquête sur les circonstances entourant la mort de Noémi et d’Audrey Bélanger dans l’île de Phi Phi, dans le sud de la Thaïlande en juin dernier.
La journaliste Johanne Faucher et le réalisateur Georges Amar se sont rendus dans cette île cet été pour faire enquête sur la mort des deux sœurs Bélanger. À mesure que leur enquête progressait, les contradictions s’accumulaient.
La thèse de la consommation d’une boisson contenant du DEET ayant causé la mort des deux sœurs était celle retenue d’abord par le médecin thaïlandais ayant pratiqué l’autopsie. Mais cette thèse est contestée au Canada.
L’autre hypothèse qui fait l’objet de recherches est celle de la vaporisation dans la chambre des sœurs Bélanger d’un pesticide contre les punaises de lit. Cela expliquerait la mort d’autres touristes dans cette région de la Thaïlande au cours des dernières années.
Nous avons multiplié les démarches afin d’obtenir le maximum d’informations autour de ce drame, mais le rapport de la police thaïlandaise reste confidentiel, semble-t-il, à la demande de l’ambassade du Canada.
Pour en avoir le cœur net, ma collègue Johanne Faucher a fait des prélèvements dans la chambre située au-dessus de celle des sœurs Bélanger. Un chimiste lui avait expliqué avant son départ comment procéder à de tels prélèvements.
En revenant, nous avons demandé à un laboratoire indépendant de les analyser. Quelle n’a pas été notre surprise d’apprendre que la coroner Renée Roussel avait fait saisir par la police nos prélèvements en affirmant qu’ils pourraient être utiles dans son enquête!
Pourtant, dès le départ, nous avions convenu avec le laboratoire que les résultats d’analyse de nos prélèvements pourraient être transmis à la coroner. Par la suite, lors d’une rencontre hors caméra avec elle, nous lui avons confirmé que nous étions prêts à partager nos résultats avec elle.
Radio-Canada a donc décidé de déposer une requête pour contester cette saisie. En attendant, nous sommes condamnés à attendre la fin des procédures judiciaires pour compléter notre enquête journalistique.
Ma mafia au Canada
J’ai un peu négligé ce blogue ces derniers temps pour cause de « débordement » journalistique. Les événements se bousculent, si bien que j’ai peine à trouver le temps de l’écrire. J’aimerais quand même revenir sur notre reportage de la semaine dernière sur la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise.
Certains nous ont écrit en disant qu’il était faux de dire que le Canada n’avait pas les outils législatifs nécessaires pour contrer la mafia. C’est vrai que nous avons depuis 1997 une loi antigang. Mais selon les experts que nous avons consultés, cette loi est fort différente de celle que les Italiens ont adoptée. Au Canada, pour être jugé en vertu des dispositions antigang, il faut poser un geste criminel au sens du Code criminel. Être membre d’une bande criminalisée n’est pas un crime en soi.
La loi antiassociation mafieuse italienne est beaucoup plus large que la loi antigang canadienne. Son application s’appuie sur une riche jurisprudence, ce qui n’est pas le cas au Canada. Ces experts canadiens et italiens nous ont expliqué d’une part que la loi italienne est spécifique à la mafia, contrairement à la loi canadienne.
En plus, l’application de la loi italienne réfère à la notion très large de l’intimidation. Elle permet donc d’arrêter beaucoup plus facilement des criminels associés à la mafia.
Si bien que les autorités canadiennes refusent parfois d’extrader des gens soupçonnés d’appartenir à la mafia, en affirmant ne pas reconnaître la loi antiassociation mafieuse italienne.
C’est pour cette raison qu’une dizaine de personnes d’origine italienne et bénéficiant d’un statut au Canada, contre qui les autorités italiennes ont lancé des mandats d’arrestation, vivent paisiblement à Toronto sans être inquiétés par la police canadienne.
par: Alain Gravel