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L'affaire Wikileaks pourrait favoriser le retour au secret
La publication par le site Wikileaks de milliers de documents militaires secrets sur la guerre en Afghanistan pourrait porter un coup d'arrêt au mouvement de décloisonnement et de partage d'informations entre agences de renseignement américaines, estiment des experts.
«C'est destructeur à de nombreux niveaux», estime le général de l'Armée de l'air à la retraite et ancien chef de la CIA Michael Hayden, interrogé sur cette affaire en marge de la conférence Black Hat sur la sécurité informatique qui s'est achevée jeudi à Las Vegas.
«Dans les années qui ont suivi le 11-Septembre, dès que quelque chose n'allait pas, je me faisais taper sur les doigts par les deux partis pour n'avoir pas assez partagé» l'information, se souvient l'ancien chef de la centrale de renseignement américaine. «Nous disions aux sénateurs: 'oui, oui, nous allons partager', mais notre conscience nous disait qu'il y avait de réels dangers à partager. C'est ce qu'on vient juste de constater», poursuit-il.
La diffusion de 92 000 documents militaires confidentiels par Wikileaks met en lumière les défis que l'ère numérique fait peser sur la sécurité en rendant possible l'exposition au public de gigaoctets de données d'un simple clic de souris, soulignent des analystes.
«Faciliter le partage (de données) et ensuite faire confiance aux gens pour qu'ils agissent au mieux, cela ne fonctionne pas», souligne James Lewis, expert en cybersécurité du Center for Strategic and International Studies.
Wikileaks n'a pas révélé la source des documents publiés, mais les soupçons se sont tournés vers Bradley Manning, un analyste du renseignement de l'Armée de terre actuellement détenu dans une prison militaire américaine au Koweït.
Arrêté en mai, il est soupçonné d'avoir transmis à Wikileaks une vidéo montrant le raid d'un hélicoptère de l'armée américaine qui avait provoqué en 2007 la mort de deux employés de l'agence de presseReuters et de plusieurs autres personnes à Bagdad.
Le Pentagone a indiqué en juin qu'il enquêtait sur la possible transmission à Wikileaks par Bradley Manning de vidéos et de 260 000 câbles diplomatiques confidentiels.
Manning se situait relativement bas dans la hiérarchie militaire et s'il s'avère qu'il a effectivement transmis ces informations, cela met en évidence le risque d'un partage trop large de l'information, juge M. Hayden.
«Cela devrait servir d'avertissement à tout le monde», estime celui qui a également brièvement dirigé la NSA (National Security Agency) avant de prendre sa retraite en 2009. Il prédit que «la réaction à cette affaire va être un rejet de la transparence» de la part du monde du renseignement.
Pour lui, les agences ont en fait besoin de travailler encore plus étroitement avec des spécialistes de sociétés privées de nouvelles technologies afin de renforcer les outils internes permettant de partager l'information.
Les ordinateurs pourraient ainsi être programmés pour s'éteindre automatiquement quand de grandes quantités de données sont téléchargées, ou être équipés d'un logiciel permettant d'enregistrer tout ce qui est tapé sur un clavier.
«Je ne pense pas qu'il y aura de retour de balancier», juge Melissa Hathaway, ancienne «Madame cyberespace» du gouvernement qui a rejoint le secteur privé en 2009, interrogée pour savoir si l'affaire Wikileaks risque d'inciter les agences à retourner au cloisonnement.
Mais «je suis sûre que les gens marqueront une pause avant d'appuyer sur la touche 'envoi'. Ils y réfléchiront à deux fois».
Transparance