Vous connaissez l’histoire terrible du délabrement du CHSLD privé Herron, révélée par la
Montreal Gazette
le week-end dernier. Je veux vous raconter ce que la première employée
du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a découvert en arrivant au
CHSLD.
C’était le 29 mars. La D
re Nadine
Larente, directrice des services professionnels du CIUSSS, a reçu un
appel qui l’a intriguée :
« La médecin rattachée(C'est qui elle ???) à ce CHSLD m’a dit
qu’elle n’arrivait pas à parler à quelqu’un à Herron. Elle m’a dit : “On
dirait qu’il n’y a personne…” »
Il y a pourtant 130 résidants qui habitent Herron.
La Dre Larente n’a fait ni une ni deux : elle a sauté dans sa voiture et s’est rendue sur place.(Mais ou est la Médecin rattaché au CHSLD Herron ?)
Ce qu’elle a découvert à 16 h 30, ce dimanche-là, l’a renversée.
« Il
y avait deux préposés aux bénéficiaires et une infirmière auxiliaire
pour 130 résidants. Bien en deçà des ratios de jour, qui devraient être
de 5 infirmières, de 22 préposés et de quelques infirmières
auxiliaires… »
— La D
re Nadine Larente, directrice des services professionnels du CIUSSS
Le
sous-effectif paraissait : les plateaux du repas du midi avaient été
déposés sur le sol des chambres. Les assiettes étaient pour la plupart
intouchées ; bien des résidants ont des problèmes de mobilité et ne
peuvent pas se pencher pour ramasser un plateau. Et les couches des
résidants n’avaient pas été changées de la journée…
La D
re Nadine
Larente a rapidement pris conscience du chaos ambiant et de l’urgence
de la situation : ces personnes devaient être soignées et nourries.
Elle avait besoin d’aide immédiatement, là, maintenant. Elle a fait un premier appel, s’est tournée vers… sa famille.
« Il
fallait agir maintenant. J’ai appelé mes trois enfants et mon conjoint
pour qu’ils viennent tout de suite m’aider à nourrir les résidants,
c’était urgent… Je leur ai juste dit : “On a besoin d’aide, on ne peut
pas laisser des personnes âgées comme ça, on a besoin d’aide pour les
aider à manger.” »
J’appuie sur « pause », ici.
J’avais
entendu au cours du week-end l’histoire hallucinante d’une employée du
CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal qui avait appelé sa famille en
renfort pour aider à nourrir les résidants de Herron, le fameux soir du
29 mars. J’ai fait des appels, j’ai tenté de la retracer. Et, lundi
soir, j’ai enfin pu parler à la D
re Larente, qui était ébranlée par cette saga. Elle a confirmé l’histoire.
« J’ai demandé à mes enfants de passer les cabarets aux résidants et d’aider à les nourrir.
— Vous avez combien d’enfants, D
re Larente ?
— Trois.
— Ils ont quel âge ?
— Ils ont 13, 15 et 17 ans. Ils sont venus avec mon conjoint. »
C’est donc la famille de la D
re Nadine Larente, ce dimanche-là, qui a nourri les résidants de deux des trois étages du CHSLD Herron, à Dorval.
Avant l’arrivée de sa famille, la D
re Larente
a bien sûr fait un autre appel, au CIUSSS, pour sonner l’alerte. Deux
directrices sont arrivées, puis une infirmière volontaire de l’Hôpital
Douglas.
Nadine Larente, qui est passée du côté gestion depuis
quelques années – elle est gériatre –, est rapidement passée à la
médecine, faisant le tour des chambres pour ausculter des résidants.
« L’infirmière de Douglas est arrivée, elle m’a aidée. On est passées en mode soins. »
Elles ont aussi changé des couches.
Une préposée envoyée par le CIUSSS est arrivée pour prêter main-forte.
« Aviez-vous déjà vu une situation semblable ?
— Non, jamais. »
Au
bout du fil, Nadine Larente m’explique qu’en ces temps de pandémie, la
pénurie de personnel habituelle dans les CHSLD s’est aggravée. « J’ai
fait le tour de nombreux CHSLD, et la situation est difficile. Mais les
besoins de base étaient remplis : les gens étaient nourris, lavés,
couchés, recevaient leurs médicaments, leurs couches étaient changées.
Mais à Herron, ce soir-là, les besoins de base n’étaient pas comblés… »
La D
re Larente
a constaté qu’au moins un résidant affichait des symptômes d’infection à
la COVID-19. En parlant avec des employés du CHSLD Herron, elle a
compris que l’essentiel du personnel avait déserté les lieux le
vendredi et le samedi, à cause de la présence du coronavirus.
La D
re Larente
a eu des contacts avec Samantha Chowieri, la propriétaire, qui était
sur place à son arrivée. Mais elle s’est rapidement consacrée aux
soins ; ce sont d’autres employés du CIUSSS qui ont composé avec M
me Chowieri. La D
re Larente
note quand même que le système de médicaments à donner aux résidants
était difficile à comprendre, ce qui a compliqué les choses, ce soir-là.
On
sait maintenant que, depuis un mois, une trentaine de résidants du
CHSLD Herron sont morts, bien plus que les quatre qui, d’ordinaire, y
meurent chaque mois. L’histoire a ému le Québec et mis en relief la
vulnérabilité des CHSLD aux éclosions de coronavirus.
Il y a des
enquêtes sur ce qui a pu déraper à ce point au CHSLD Herron – propriété
du Groupe Katasa, de Gatineau –, il y en a trois : une enquête de la
Santé publique, du coroner et de la police de Montréal.
Mais en entrevue, la D
re Larente
ne voulait pas s’étendre là-dessus : si elle acceptait de me parler,
c’était pour dire à quel point ce soir-là, le 29 mars, des personnes
se sont unies pour aider les personnes âgées de Herron.
Et la D
re Larente
m’a confirmé une autre info que j’avais entendue pendant le
week-end : oui, une personne dépêchée par le CIUSSS le 29 mars a
contracté la COVID-19.
« Et vos enfants ?
— Non, ils sont O.K. Mon conjoint aussi. Je m’en serais tellement voulu… »
Le conjoint de la D
re Larente
est reparti avec les deux plus jeunes vers 21 h. La fille aînée est
restée. « Elle a aidé des résidants à manger, elle a écouté ceux qui
avaient besoin de parler… »
Nadine Larente et sa fille sont parties vers 1 h du matin.
Je
demande à Nadine Larente quel était son état d’esprit quand, dans la
nuit de dimanche à lundi, après ces heures frénétiques au CHSLD Herron,
elle est revenue chez elle.
La réponse tient en un mot : « Bouleversée. »
Elle
termine en me faisant une demande : rappeler que le site JeContribue
(1) recrute des Québécois qui voudraient aider les personnes âgées.
« Nous avons besoin d’aide. »
***
Il y aura des enquêtes sur
ce qui s’est passé au CHSLD Herron, comme il y en aura sur ce qui s’est
passé dans le réseau québécois de la santé et des services sociaux
pendant la pandémie de 2020.
On se concentrera bien sûr sur ce qui aura déraillé, pour éviter que ça ne déraille encore.
Mais il faudra se souvenir, aussi, de l’héroïsme de certaines personnes.
Et, des fois – l’histoire de la D
re Larente en est un exemple extraordinaire –, de celui de leurs familles.
ET LES FAMILLES DES RÉSIDANTS ?
Vous
avez été nombreux à m’écrire pour me demander, dimanche, mais où diable
étaient les familles des résidants du CHSLD privé Herron ?
N’avaient-ils pas constaté le délabrement des lieux ?
Réponse : les visites en CHSLD sont interdites depuis le 14 mars.
Les familles des résidants du CHSLD Herron ne pouvaient donc pas savoir ce qui s’y passait.