La policière Stéfanie Trudeau est suspendue pour la
durée de l'enquête interne portant sur ses agissements lors d'une
intervention menée à Montréal le 2 octobre dernier, a annoncé jeudi le
directeur du Service de police de Montréal (SPVM), Marc Parent.
L'agente
du poste de quartier 38 pourrait recevoir une sanction allant de la
réprimande au congédiement, selon les résultats de l'enquête interne
déclenchée mercredi soir, après la diffusion de reportages sur les ondes de Radio-Canada.
Sur
l'enregistrement audio obtenu par Radio-Canada, on entend la policière
Trudeau traiter les civils visés par l'intervention policière de
« rats », « d'ostie de carrés rouges », de « mangeux de marde », de
« trou de cul » et de « caves ».
Dans
un court point de presse convoqué en début d'après-midi mercredi, M.
Parent a tenu à s'excuser auprès de la population, tant en son nom
personnel qu'au nom de tous les employés du service de police, pour les
propos « inacceptables et intolérables » tenus par la policière.
« Ces
propos ne sont pas du tout en lien avec nos valeurs, et ne sont pas du
tout acceptés par l'ensemble des employés du SPVM. Ils sont carrément en
contradiction avec ce qu'on préconise comme comportement », a dit
M. Parent.
« Dès
hier, on a désarmé cette policière-là, on l'a mutée administrativement
dans de nouvelles fonctions. Ce que je vous dis aujourd'hui, c'est qu'à
compter de maintenant, elle est suspendue durant la durée de
l'enquête », a annoncé le directeur du SPVM, sans pouvoir dire si elle
était suspendue avec ou sans salaire.
« C'est
une enquête qui va être menée de façon accélérée, compte tenu des
circonstances, compte tenu des enjeux associés aux différents faits qui
ont été révélés hier, qui sont carrément troublants et complètement
inacceptables », a-t-il ajouté.
Marc
Parent a précisé qu'il a rencontré plusieurs personnes de son équipe
depuis 17 h mercredi « pour faire le point, recueillir les faits et, en
toute équité, aller chercher l'information nécessaire pour prendre la
bonne décision à l'égard de la situation actuelle ».
Selon
lui, le SPVM avait déjà réagi contre l'agente Trudeau, après des
évènements survenus lors du conflit étudiant le printemps dernier. Une
vidéo sur laquelle on pouvait la voir utiliser un gaz irritant à
l'encontre de manifestants a été vue par plus d'un demi-million
d'internautes sur You Tube. C'est à ce moment qu'elle est devenue connue
sous le sobriquet de « Matricule 728 ».
L'agente Trudeau a aussi commis d'autres frasques dans le passé.
« Il
y avait des décisions qui avaient été prises de lui donner un
encadrement plus serré, [pour] qu'elle n'aille plus sur les
manifestations, qu'elle n'aille plus sur les rassemblements populaires
et de ne pas l'exposer à une situation où elle aurait pu être en
conflit », a indiqué Marc Parent.
« Ce
que j'ai questionné beaucoup hier soir et ce matin, c'est [...] les
systèmes en place. Donc, les systèmes de détection de comportement. »,
a-t-il précisé. « Qu'est-ce qui fait que ça s'est rendu jusqu'à cet
incident-là pour pouvoir poser un geste ou entrer en action? Et je peux
vous dire qu'à ce niveau-là, il y a des changements qui vont
être opérés. ».
M.
Parent n'a pas été en mesure de dire si l'affaire avait été signalée
avant que Radio-Canada ne diffuse son reportage. « Ça fait partie des
vérifications qui vont être faites [concernant] les systèmes,
l'encadrement, la supervision et les processus en place pour détecter ce
genre de situation là. »
Le
directeur du SPVM ne sait cependant pas à qui parlait l'agente Trudeau,
le cas échéant. « Faut s'assurer que ce qu'elle a dit a bel et bien été
entendu, pas seulement par un cadre, mais par un superviseur, un
collègue de travail « , a-t-il souligné.
« Il y a des policiers qui ne sont pas fiers de voir
comment elle a pu ternir non seulement le SPVM, mais l'ensemble de la
communauté policière. »
— Marc Parent
« Aucun
superviseur ne peut tolérer ce genre de comportement ou de propos-là »,
a insisté M. Parent, en rappelant que le SPVM interdit tout profilage
racial, social ou politique.
M.
Parent a par ailleurs précisé que des citoyens peuvent bel et bien
filmer des opérations policières, pourvu que ce geste ne nuise pas à
l'intervention policière. Un témoin qui braque directement un téléphone
cellulaire dans le visage d'un policier peut cependant s'exposer à être
arrêté pour entrave au travail des policiers.
La policière Stéfanie Trudeau maîtrisant Serge
Lavoie lors de l'intervention controversée du 2 octobre dernier.
Sur les droits de l'agent Trudeau
Plus
tôt dans la journée, le porte-parole du Service de police de la Ville
de Montréal, Ian Lafrenière, avait affirmé qu'il aurait été prématuré de
suspendre l'agente Trudeau, malgré ses propos « troublants ».
« On est dans un état de droit, on ne peut pas suspendre les gens comme ça. »
— Ian Lafrenière
« Ce
qui nous préoccupe beaucoup, c'est les paroles, les gestes de la
policière, dans quel état elle a fait ça, la façon dont elle agit. C'est
là-dessus que notre enquête va porter », avait-il précisé en entrevue
à Radio-Canada.
M.
Lafrenière défendait néanmoins la décision du SPVM dans ce dossier.
« Elle est déjà coupée de tout ça [des services d'ordre, NDLR]. Pour
nous elle est sortie de la route présentement », souligne-t-il.
M.
Lafrenière n'avait pu épiloguer sur les motifs de l'intervention
policière, qui demeurent nébuleux. Il soulignait que les citoyens
concernés ont toujours la possibilité de contester le constat
d'infraction qu'ils reçoivent.
« Cela
ne justifie en aucun temps ce qui s'est passé par après. Je ne suis pas
ici ce matin pour essayer de justifier l'injustifiable », précise-t-il.
Selon
lui, l'enquête concernant les quatre civils soupçonnés d'entrave à un
agent de la paix, de voies de fait et d'intimidation dans la foulée de
l'opération suit aussi son cours. « Dans ce cas-là, on n'a aucune
plainte de citoyen », indique-t-il.
Le
porte-parole du SPVM profite de la situation pour faire valoir que les
citoyens interpellés par des policiers doivent toujours s'identifier.
« La personne a refusé de s'identifier. Et ça ne justifie pas ce qui
s'est passé », dit-il.
« Ce
que je veux envoyer comme message ce matin, c'est que quand on reçoit
un constat, ce n'est pas une bonne idée de refuser de s'identifier ».
Des propos « inadmissibles »
L'expert
en opérations policières Mathias Tellier est d'avis que les propos de
la policière Trudeau sont « inadmissibles ». Selon lui, la grande
majorité des policiers « sont en total désaccord » avec les propos de
l'agente Trudeau.
« Même
à l'interne, les confrères s'attendent à une intervention des autorités
en place, pour que ce soit corrigé d'une manière ou d'une
autre », dit-il.
Selon
lui, l'enregistrement diffusé par Radio-Canada révèle « l'analyse
qu'elle fait elle-même de ce qui vient de se passer, à sa conception des
gens qui ont fait l'objet de son intervention ». Il deviendra du coup
« un outil très important pour être capable de mettre en place des
mesures qui vont corriger ou éliminer son comportement ».
Le
spécialiste des questions policières souligne lui aussi que les
citoyens interpellés par la police ont des droits, tant pendant
l'intervention qu'après. « La police peut utiliser la force nécessaire
pour mettre un terme à une menace ou à une violence quelconque, mais ils
doivent le justifier en tout temps », note M. Tellier.
Selon
lui, les citoyens impliqués seront rencontrés dans le cadre de
l'enquête interne du SPVM, « et il n'est pas exclu qu'à la lumière de ce
qu'ils vont recueillir, le procureur qui a autorisé les accusations
soit rencontré à nouveau et qu'il y ait des modifications » apportées
aux accusations portées contre eux.
Le ministre québécois de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron
Le
ministre québécois de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, estime
pour sa part que la policière Trudeau a eu un comportement « pas très
édifiant », mais que le SPVM a posé « les gestes appropriés dans
les circonstances ».
« Je
pense que chaque personne qui a vu le reportage a constaté qu'il y a un
niveau d'agressivité, un niveau de langage qui n'est peut-être pas
approprié, qui n'était certainement pas approprié dans le cadre de cette
intervention-là », a-t-il dit sur les ondes du Réseau de l'information.
« Il
y a des autorités au SPVM qui vont poser les gestes requis en terme
disciplinaire et, le cas échéant, la cause sera portée en déontologie
policière, mais je ne peux pas m'immiscer dans le processus, vous le
comprendrez bien », a dit M. Bergeron.
« Bien
que je sois le ministre de la Sécurité publique, ce n'est pas dans mes
responsabilités que de commenter publiquement chacun des comportements
des policiers de quelque corps de police sur le territoire ».
Lorsqu'on
lui demande s'il est inquiet que le lien de confiance entre les
policiers et la population soit rompu, particulièrement dans la foulée
des évènements qui ont marqué le conflit étudiant le printemps dernier,
le ministre indique qu'il a reçu « plusieurs demandes » l'invitant à
déclencher une enquête publique et qu'il évalue cette demande.
« Je
dois voir si le système actuel nous permet d'atteindre l'objectif
poursuivi, [qui] est de deux ordres : nous assurer d'une part que celles
et ceux qui ont commis des gestes répréhensibles soient sanctionnés, et
nous assurer d'autre part de rétablir le lien de confiance entre la
population et ses corps policiers », explique Stéphane Bergeron.
« Je
suis de ceux qui croient que, dans leur immense majorité, les policiers
et les policières lors des évènements du printemps dernier ont fait
leur travail avec tout le professionnalisme auquel on est en droit de
s'attendre d'eux », ajoute-t-il.
« Ceci
dit [...] leur image a été souvent indûment entachée à travers ces
évènements-là, et l'important, c'est de rétablir cette image et de
rétablir le lien de confiance avec la population », conclut-il.
Écoutez
la policière Trudeau parler de l'intervention avec son supérieur dans
une conversation enregistrée par mégarde dans son véhicule de patrouille
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