A Daniel,
Je n'étais pas de ta famille, ni même une amie.
Je suis une de ces usagères qui utilisent régulièrement la ligne 200.
Je te voyais tous les jours, dans cet abribus du boulevard Sir-Wilfrid-Laurier, à Mont-Saint-Hilaire. Tel un vigile, tu veillais sur la ville, sur notre petit matin, toujours au poste.
Un jour, j'ai réalisé que cet autobus, jamais tu ne le prenais.
Et je me suis inquiétée de toi, réalisant que tu errais, toi, citoyen de cette belle ville de Mont-Saint-Hilaire.
Tu occupais mes pensées. Avais-tu de quoi te nourrir ? Et ces vêtements que tu portais, seraient-ils assez chauds les grands froids venus ?
Et à Mont-Saint-Hilaire, quels sont les services pour les itinérants? Cette question, je t'en avais fait part. Il n'y avait rien dans notre ville. Bien sûr, l'itinérance, ça appartient à Montréal ou aux grandes villes !
La peur de déranger
Daniel, je parlais de toi à ma fille, à mon chum. Mais j'ai gardé pour moi certaines questions que j'aurais voulu te poser. J'ai retenu des gestes que j'aurais voulu poser à ton égard. As-tu faim ? As-tu besoin de vêtements ? D'un sac de couchage ?
Car la foutue peur, peur de déranger, de se mêler de ce qui ne nous regarde pas, d'entrer dans l'intimité de l'autre, m'a freinée. Pourtant, je pensais si souvent à toi !
Écouter son coeur, c'est si simple pourtant...
J'ai vu que tu avais froid, j'ai vu ton corps se courber un peu plus à l'arrivée de l'hiver. Et toujours tu souriais, toujours tu répondais à mon bonjour le matin.
Le 5 décembre, il faisait très froid. Tu étais là, au coin du boulevard Sir-Wilfrid-Laurier et de Raymond-Dupuis. Un peu plus vieilli, un peu plus confus.
La semaine suivante, tu n'y étais plus.
Un geste peut faire la différence
Daniel, tu as touché ma vie. Aujourd'hui, je sais que tu n'es plus. Il y a finalement un autobus qui s'est arrêté pour toi. Étais-tu seul à bord quand tu es finalement monté ? Je souhaite qu'une grande lumière, qu'une douce chaleur t'aient accueilli. Ton errance a pris fin.
Dans cet abribus, je te vois encore. Tu me dis que tu existes; tu me dis d'écouter mon coeur, de ne plus jamais avoir peur du qu'en-dira-t-on. Tu me dis qu'un geste, parfois, peut faire une différence, même si ce n'est que pour un court instant. Que tendre la main, sourire, saluer, reconnaître l'autre dans sa différence, accepter qu'il croise notre route et qu'il nous boule-verse ou nous interpelle, c'est notre responsabilité à tous.
Aujourd'hui Daniel, j'ai tant de tristesse, je ne peux accepter qu'un homme soit mort, seul, dans le froid de l'hiver, aux yeux de nous tous, Hilairemontais.
Et je veux te demander pardon.
Puisses-tu n'avoir plus jamais froid et faim. Repose en paix.
Josée Fauteux
Mont-Saint-Hilaire