Alors que le recours aux paradis fiscaux par nombre
d’entreprises et de riches fait perdre des milliards de dollars à Québec
et Ottawa, cela n’empêche aucunement notre Caisse de dépôt et placement
du Québec d’y avoir abondamment recours.
De tous les grands fonds d’investissements et de retraite au monde,
la Caisse de dépôt et placement du Québec est d’ailleurs l’un des plus
friands des paradis fiscaux.
- Écoutez l'entrevue de Michel Girard avec Richard Martineau à QUB Radio:
La Caisse détient des placements dans 348 sociétés incorporées dans
les paradis fiscaux, pour une valeur globale allant de 22 à 36
milliards de dollars. Ce « nébuleux » écart de 14 milliards $ s’explique
par la vague estimation de la valeur que la Caisse rapporte
publiquement au sujet de ses placements privés.
En me remettant la liste des sociétés qu’elle détient dans les
paradis fiscaux, la Caisse a, par ailleurs, tenu à me dire que la valeur
des sociétés qu’elle détient dans ces juridictions à la fiscalité
légère a diminué d’un milliard de dollars entre le 31 décembre 2018 et
le 31 décembre 2019.
Question : « Quand vous dites UN milliard $ de moins... c’est par
rapport à quel montant total en 2018 ? » ai-je demandé à la Caisse.
L’OPACITÉ DES PLACEMENTS PRIVÉS
Impossible de le savoir, la Caisse refusant de dire le montant (ou
ne serait-ce que l’ordre de grandeur) sous prétexte qu’elle divulgue
seulement des fourchettes de valeur à l’égard de ses placements dans les
sociétés privées.
Le problème ? Plus le montant du placement de la Caisse dans une
société privée est gros, plus la fourchette de valeur qui lui est
attribuée est vague.
La Caisse classe ses placements privés dans 11 fourchettes de
valeur, dont les cinq plus importantes affichent des écarts de 150
millions $, de 200 millions $, de 500 millions $ et même au-delà de 500
millions $ lorsque le placement dépasse la valeur de 1,5 milliard $.
Comme manque de précision, c’est dur à battre. Cela donne
l’impression que la haute direction de la Caisse se fout carrément de la
gueule non seulement des médias qui la suivent, mais également de ses
déposants qui, rappelons-le, représentent l’ensemble des Québécois.
LA CAISSE DÉFEND SON HONNEUR
Pour justifier sa présence soutenue dans les paradis fiscaux, au
point d’ailleurs où elle y possède elle-même des filiales, la Caisse
affirme qu’elle le fait dans le but d’éviter notamment une supposée
double imposition.
« Aussi comme nous l’avons dit par le passé, certains de ces actifs
[placements] sont liés à des fonds d’investissement constitués dans des
juridictions dites “neutres”. Ces derniers sont structurés de façon à
permettre à des dizaines d’investisseurs de différents pays de
s’associer et d’investir ensemble tout en se conformant aux obligations
fiscales de leur pays de domicile. »
Mais... « La Caisse, ajoute-t-elle, respecte toutes les lois et
s’acquitte de ses obligations fiscales. Nous considérons qu’il est
totalement inacceptable pour quiconque de pratiquer toute forme
d’évasion fiscale. »
GRAND BIEN LUI FASSE !
Bonne nouvelle : « Notre objectif, me précise la Caisse, est
clairement de réduire notre exposition aux juridictions à fiscalité
réduite et nous allons continuer dans cette direction. »
La Caisse se vante même d’influencer ses partenaires. « Chaque fois
que c’est possible, la Caisse s’empresse d’influencer ses partenaires
pour établir les structures financières à l’extérieur de ces
juridictions – nous avons plus d’une trentaine d’exemples concluants au
cours des trois dernières années. »
Ah bon ! Il faudrait peut-être que la haute direction de la Caisse
prêche par l’exemple en fermant ses propres filiales qu’elle possède
dans les juridictions à la fiscalité légère, soit sept aux Îles Caïmans
et une autre aux Bermudes.
COLOSSALES PERTES FISCALES
À combien s’élèvent les pertes fiscales attribuables à
l’utilisation des paradis fiscaux ? À 3000 milliards $ pour l’ensemble
des gouvernements dans le monde ? De 10 à 15 milliards $ au Canada ? De 1
à 2 milliards $ pour le Québec ? Ou plus ?
S’il est impossible de connaître l’ampleur exacte des pertes
fiscales, une chose est certaine : le recours aux paradis fiscaux est un
cancer fiscal.
Tous les gouvernements affirment lutter contre l’évasion fiscale.
Le gouvernement du Québec fait évidemment partie de la croisade. Il ne
rate jamais l’occasion de défendre la vertu fiscale.
LA FARCE
Là où les gouvernements perdent de la crédibilité dans la lutte
qu’ils prétendent mener contre les utilisateurs des paradis fiscaux,
c’est lorsque leurs fonds souverains ont eux-mêmes recours aux paradis
fiscaux pour faire fructifier leurs portefeuilles de placements.
Comme c’est le cas avec la Caisse de dépôt et placement du Québec du gouvernement du Québec.
Ironie du sort : le gouvernement de François Legault vient
d’accorder une aide financière de 277 millions de dollars aux
propriétaires du Cirque du Soleil, dont les deux principaux, le fonds
américain TPG et le fonds chinois Fosun, exercent leur emprise sur le
Cirque par l’entremise de filiales incorporées aux Îles Caïmans.
Et pour couronner le tout, je vous rappelle que la Caisse a acquis
en février dernier le dernier bloc d’actions du Cirque que Guy Laliberté
détenait dans une société enregistrée dans les Îles Caïmans.
La lutte aux paradis fiscaux, quelle farce !