La course au vaccin a été lancée dès janvier 2020, alors que le monde
ne connaissait qu’une souche de COVID-19. Dans les labos de Pfizer et
de Moderna, par exemple, les chercheurs ont copié un morceau du matériel
génétique du virus, sa molécule d’acide ribonucléique (ARN), qu’ils ont
stabilisée en l’enrobant de particules de gras. Du côté d’AstraZeneca
et de Johnson & Johnson, les scientifiques ont plutôt accroché ce
même morceau d’ARN à un vecteur viral. Le brin d’ARN sélectionné est
celui qui code pour la protéine de spicule du SRAS-CoV-2, celle qui est à
la surface du virus et qui se lie aux récepteurs ACE2 de nos cellules
pour les infecter.
Des vaccins moins efficaces ?
Puis, en mars 2020, le variant D614G a été découvert. Comme il porte
une mutation située dans la partie de l’ARN qui code pour la protéine de
spicule, les sociétés pharmaceutiques ont aussitôt lancé les premiers
tests permettant d’évaluer si leurs vaccins auraient la même efficacité
contre cette nouvelle souche.
Il s’agissait de vérifier, en laboratoire, quelle quantité
d’anticorps neutralisants est engendrée quand on place la nouvelle
souche au contact du sérum (la fraction du sang qui contient les
anticorps) de personnes déjà vaccinées, et de la comparer à la quantité
engendrée lorsqu’on met l’ancienne souche au contact du même sérum. On
peut aussi utiliser le sérum d’animaux de laboratoire auxquels on a
inoculé le vaccin, ou bien, à la place de la nouvelle souche, tester des
pseudovirus, des assemblages qui contiennent juste la partie de l’ARN
qui a muté.
Avec D614G, les labos ont eu une bonne surprise : ils ont découvert
que cette souche engendrait encore plus d’anticorps neutralisants que la
précédente ! Ils ont donc continué la mise au point de leurs vaccins
sans rien changer.
Quand, à l’automne, trois autres variants ont vu le jour, les
sociétés pharmaceutiques ont recommencé ces tests. Il est apparu assez
rapidement que le variant anglais, B.1.1.7, ne poserait pas de gros
problème pour les vaccins actuels, même s’il a créé un peu moins
d’anticorps neutralisants que D614G.
Les variants sud-africain et brésilien, eux, se sont avérés plus
problématiques, car ils ont engendré beaucoup moins d’anticorps
neutralisants, et ce, avec tous les vaccins. La difficulté semble venir
d’une mutation commune à ces deux variants, E484K, que l’on retrouve
aussi dans plusieurs des variants découverts au cours des dernières
semaines… mais pas dans B.1.1.7.
Cette
forte baisse du taux d’anticorps face à un variant est un signal
d’alarme indiquant qu’un vaccin risque de ne pas être aussi efficace
contre celui-ci… Mais tout n’est pas perdu. D’une part, il se peut que
la quantité d’anticorps reste largement suffisante pour que le vaccin
soit quand même tout aussi performant. D’autre part, les anticorps ne
constituent qu’une partie de la réponse immunitaire ; le reste est
assumé par les cellules T, qu’on peut également essayer de doser. Le
problème, c’est qu’on ne connaît pas le nombre et le type précis
d’anticorps et de cellules T qu’une personne doit produire pour être
immunisée (ce qu’on appelle les corrélats de protection). Décortiquer
tout cela est extrêmement complexe, car des milliers de sous-types
d’anticorps et de cellules T combinent leurs actions pour orchestrer la
réponse immunitaire.
Pour avoir une réponse plus claire, il faut aussi mener différents
types d’études épidémiologiques. Dans certaines, on peut mesurer combien
de gens ont contracté un variant et combien ont été infectés par la
souche d’origine après avoir été vaccinés. D’autres évalueront si, quand
une souche se met à circuler plus qu’une autre, plus de personnes
attrapent le virus malgré le vaccin. D’autres encore vont comparer des
gens vaccinés et non vaccinés dans une région où un nouveau variant
s’est imposé. Tout cela est long et complexe, et fournit le plus souvent
juste une partie du portrait.
Depuis la fin 2020, des dizaines d’études de laboratoire et plusieurs
études épidémiologiques ont été publiées à ce sujet sur tous les
vaccins actuellement utilisés, et les sociétés pharmaceutiques ont aussi
des résultats qu’elles n’ont pas encore publicisés, ainsi que d’autres
qu’elles ont juste annoncés par des communiqués sans en avoir publié les
détails dans des revues savantes. Il est donc très difficile d’y voir
clair.
Jusqu’à présent, une seule étude
épidémiologique, menée sur seulement 750 personnes en Afrique du Sud, a
constaté un net déclin de l’efficacité d’un vaccin, celui
d’AstraZeneca, contre le variant sud-africain. Les gens vaccinés dans le
cadre de cette étude ont été presque aussi nombreux à attraper le virus
que ceux qui avaient reçu un placebo. Comme aucun cas grave de COVID-19
n’a été observé dans les deux groupes (constitués de gens assez
jeunes), on ne peut pas savoir si le vaccin est moins bon pour éviter
les formes graves de la maladie. Il faudra voir si d’autres études
confirment ces observations. Mais d’ores et déjà, par précaution, on
essaie de plutôt utiliser d’autres vaccins là où ce variant circule
fortement ; c’est le cas en Afrique du Sud, mais aussi, par exemple, en
Abitibi et dans un département de France.
« La
plupart des vaccins devraient rester quand même efficaces contre les
variants actuels, car quelques mutations ne suffiront probablement pas
pour affaiblir radicalement la réponse immunitaire », estime
l’immunologiste Denis Leclerc, qui met au point de nouveaux vaccins
contre l’influenza et la COVID au Centre de recherche du CHU de Québec –
Université Laval.
Jesse Shapiro, spécialiste de l’évolution des virus, et Denis Leclerc
croient cependant que, à mesure que de plus en plus de gens seront
immunisés, par les vaccins ou parce qu’ils auront déjà eu la COVID, le
SRAS-CoV-2 risque d’évoluer vers des variants équipés de plus de
mutations aptes à échapper à la réponse immunitaire. « Pour freiner
cette évolution, il faudra arriver à limiter la transmission du virus
d’une personne à l’autre en maintenant la distanciation ou en vaccinant
au plus vite le plus grand nombre de gens possible », ajoute Jesse
Shapiro.
Étaler les doses est une bonne idée
Au Québec comme à d’autres endroits, les autorités ont choisi de
reporter la deuxième injection des vaccins à deux doses. On maximise
ainsi le nombre de personnes pouvant en recevoir une première dose, qui
est déjà très efficace. Cette stratégie pourrait encourager l’émergence
de variants, mais Jesse Shapiro croit que le risque est mince. Et de
toute façon, il serait plus imprudent de laisser de grands pans de la
société sans aucune protection, puisque cela permettrait au virus
d’infecter plus de gens, et donc de muter plus vite. « Les personnes qui
vont attraper la COVID après avoir eu une dose ne seront pas très
nombreuses, puisque l’efficacité de cette protection reste élevée, et il
n’y a pas de raison de penser qu’elles garderont le virus dans leur
corps plus longtemps que si elles avaient eu leurs deux doses. Il n’aura
donc pas beaucoup de temps pour y muter », explique-t-il.
Les variants ont plus de chances d’émerger quand un virus reste
longtemps dans le corps d’une personne au système immunitaire affaibli,
ce qui lui permet de se répliquer à de multiples reprises tout en
résistant aux faibles pressions des anticorps et cellules T incapables
de juguler l’infection. On pense d’ailleurs que c’est chez une personne
immunosupprimée qu’est apparu le variant anglais. Néanmoins, croit Jesse
Shapiro, on aurait intérêt à donner assez rapidement leur seconde dose
aux personnes au système immunitaire affaibli, pour augmenter les
chances qu’elles se débarrassent plus vite du virus si elles devaient
quand même l’attraper.
Un variant peut aussi émerger en passant par une nouvelle niche
écologique. C’est ce qui s’est produit au Danemark durant l’automne,
quand des visons infectés par des humains ont retransmis à quelques
autres personnes une forme mutée du virus. Ce variant a ensuite disparu,
puisque les personnes contaminées ont été isolées et ne l’ont pas
transmis.
Faudra-t-il être vaccinés à répétition ?
Dès janvier 2021, la société pharmaceutique Moderna a amorcé la mise
au point d’un nouveau vaccin basé sur l’ARN du variant sud-africain. Des
volontaires ont commencé à le recevoir début avril. Ce vaccin sera
probablement efficace, puisqu’il a le même mode d’action que sa version
précédente. Si c’est le cas, il pourra assurer une protection contre
cette souche et peut-être aussi contre d’autres ayant la même
mutation E484K, comme le variant brésilien. On verra si une seule dose
agissant comme rappel sera suffisante, ou s’il en faudra deux.
On devra ainsi peut-être, au fil des ans, modifier régulièrement les
vaccins pour faire face à de nouveaux variants qui pourraient émerger,
un peu comme on le fait chaque année pour la grippe. Combien de fois et
jusqu’à quand ? Impossible à dire, puisque cela dépend entre autres de
la durée de protection conférée par les vaccins et par l’immunité
naturelle, que l’on ne connaît pas encore, de l’efficacité des vaccins
contre les divers variants en circulation, du nombre de gens qui seront
immunisés et de la concurrence que les différentes souches se livreront.
On pourrait aussi avoir des vaccins protégeant contre plusieurs souches
à la fois, même si cela complique la fabrication et augmente le coût de
revient.
« Si on parvient à diminuer nettement la circulation du virus, avec
des vaccins relativement efficaces donnés à beaucoup de gens et en
appliquant des mesures sanitaires pour contrer rapidement toute nouvelle
éclosion là où les personnes ne sont pas vaccinées, on va réduire
grandement les risques que de nombreux variants émergent », croit Jesse
Shapiro. Plusieurs experts s’attendent ainsi à ce que, passé cette phase
aiguë de la pandémie au cours de laquelle la majeure partie des gens ne
sont pas immunisés du tout, le rythme d’émergence de nouveaux variants
ralentisse. Si, au lieu d’en voir apparaître plusieurs en quelques mois,
on observe un seul changement tous les deux, trois ans, le SRAS-CoV-2
deviendra plus facilement gérable.
La meilleure option : un vaccin « universel »
Le virus de l’influenza est le seul pathogène humain qui suit une
évolution semblable à celle qui s’annonce pour le SRAS-CoV-2. Il est
également doté d’une protéine de surface, l’hémagglutinine, qui mute
régulièrement et force ainsi chaque année à revoir la formulation du
vaccin pour essayer de viser les variants qui seront les plus fréquents
cette année-là. « C’est loin d’être la solution idéale, car on se
retrouve avec des vaccins peu efficaces et qui ratent régulièrement leur
cible », regrette Denis Leclerc. Le chercheur croit qu’il serait
possible de faire bien mieux avec un vaccin dit « universel » ciblant
aussi une partie du virus qui mute beaucoup moins souvent. « Tant qu’on
attendra qu’une mutation se produise dans la protéine de surface pour
concevoir un vaccin capable de la contrer, on sera toujours en retard »,
explique-t-il.
L’idée consiste à incorporer dans les vaccins le code d’une protéine
située à l’intérieur du virus, qui engendrera une forte production de
cellules T. Il agirait en même temps que le code de la protéine de
surface. De cette manière, même si un variant ayant une protéine de
surface un peu différente engendrait moins d’anticorps, les cellules T
compenseraient. Et une fois leur recette gardée en mémoire, elles
pourraient revenir combattre n’importe quel variant par la suite. Denis
Leclerc a déjà ciblé une protéine présente à l’intérieur du SRAS-CoV-2,
la nucléocapside, dont le code génétique pourrait jouer ce rôle
complémentaire.
Pour la grippe, l’idée est dans l’air depuis plusieurs décennies, et
de nombreuses publications scientifiques démontrent que cette piste a du
potentiel. De grands labos de recherche publics s’y intéressent, ainsi
que plusieurs petites entreprises de biotechnologie. En France, par
exemple, la société Osivax
a mis au point un vaccin contre la grippe qui combine une
pseudoparticule virale capable de générer des anticorps contre la
protéine H à une nucléoprotéine qui engendre une forte réponse
cellulaire. Son vaccin est en phase 2 d’essais cliniques, et elle a
commencé à tester la même approche contre le SRAS-CoV-2.
Pour l’instant, aucun gros producteur de vaccins n’a embarqué. « Vu
leur modèle d’affaires, il est clair qu’ils n’ont aucun intérêt à
remplacer un vaccin qu’on doit redonner périodiquement par un vaccin
universel », dit Denis Leclerc. Aux prises avec un deuxième virus mutant
régulièrement, et plus conscients des terribles ravages que peut
entraîner une pandémie, les gouvernements arriveront-ils à pousser cette
solution susceptible de minimiser les risques que pose l’évolution de
ces deux virus ? À suivre…