C’est ce qu’a affirmé la ministre Maltais pour rassurer son monde quant aux nouvelles mesures d’incitation à l’emploi pour certaines catégories de bénéficiaires de l’Aide sociale.
Ce n’est pas parce que j’ai été le «Naufragé des villes» que je suis devenu un spécialiste de l’Aide sociale, mais j’y suis sensibilisé et j’ai été confronté à une réalité pas toujours commode.
Sur le principe des mesures annoncées, je suis d’accord. Qui ne le serait pas? Peu importe son statut et le parti politique que l’on appuie, tout le monde souhaite qu’il y ait moins de chômeurs, moins d’assistés sociaux et plus de travailleurs actifs. Cela va de soi.
Sur l’application de ces mesures, j’ai cependant d’énormes réserves. La réalité est beaucoup plus complexe. D’abord, je m’en excuse, mais les employés du ministère qui auront à appliquer ces mesures ne démontrent pas toujours l’empathie, le jugement et le discernement nécessaires pour le faire correctement. Je ne veux surtout par généraliser, mais c’est un fait. Ils sont humains et l’humain n’est pas une machine parfaite.
Ensuite, la notion « d’employabilité » en est une très élastique. Plusieurs qui portent cette étiquette, dans le fond, ne sont pas vraiment employables. Ou du moins, pas pour tous les emplois qui leur seront proposés. Souvent, pour aucun d’entre eux. Pour ceux et celles qui aiment détester les assistés sociaux et « basher » sur leur dos, il faut comprendre et constater l’état de détresse physique et psychologique de plusieurs d’entre eux. L’estime d’eux-mêmes est nulle, la confiance absente. Ils sont isolés de notre monde et vivent un peu en marge, souvent dans des sous-sociétés dans lesquelles ils ont appris à survivre. Je ne m’attarderai pas sur les nombreuses raisons qui les ont amenés là, mais ils y sont et il s’avère, pour un grand nombre d’entre eux, extrêmement difficile, voire souvent impossible de s’en sortir. Une société évoluée et humaine peut peut-être les détester, mais elle a le devoir et la responsabilité de ne pas les laisser crever.
Avant d’accepter un emploi, aussi simple soit-il, ils ont souvent besoin d’aide afin de se rebâtir une confiance minimale qui leur permettra d’abord de croire en eux. Je sais, de telles initiatives existent actuellement, mais elles sont encore limitées.
Et je ne m’attarde pas ici aux nombreux employeurs qui seront très frileux à engager des assistés sociaux. Et je ne les blâme pas. Surtout, justement, les plus âgés. Durant les deux mois de mon expérience de «Naufragé», à 53 ans, je n’ai pu réussir à me dénicher un emploi. C’est le travail au noir qui m’a sauvé.
Je pourrais poursuivre, mais je m’arrêterai ici. Vos mesures, madame Maltais, sont vertueuses, mais la vie ne l’est pas. Dans leurs applications et malgré les possibles bonnes intentions, elles engendreront des drames. Qu’arrivera-t-il aux personnes qui échoueront, malgré leur bonne volonté? Et qu’entend-on par «bonne volonté»? Perdront-ils 129$ par mois alors qu’ils en ont à peine 700$ pour vivre? Je n’ose l’imaginer. Si c’est le cas, ne vous surprenez pas de constater un accroissement du travail au noir, de la délinquance et de l’illégalité.
En affirmant que «vous n’échapperez personne», vous commandez un acte de foi, mais la foi, de nos jours, est plus que vacillante, surtout envers les politiciens et davantage lorsqu’on aborde les sujets des clientèles plus vulnérables. Votre affirmation, vous le savez, relève davantage de la pensée magique.
Mais c’est bien connu. Il n’est jamais payant, politiquement, de défendre les plus démunis. Nettement plus rentable de faire le contraire. Pour s’en convaincre une autre fois, sachez que seulement 34% de la population serait d’accord pour que les prestations de l’Aide sociale soient indexées annuellement en fonction du coût de la vie.
REF.: Pierre Côté
Président et fondateur, IRB
Participant à la série documentaire «Naufragés des villes»
Le 3 mars 2013