Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ? Si
a priori
aucune définition officielle n'existe à l'heure actuelle, certains
organismes ont choisi de résumer ce terme en quelques critères. L'
OCDE* par exemple, considère 4 facteurs pour déterminer si oui ou non une juridiction classée paradis fiscal :
- les impôts sont inexistants ou insignifiants
- il n'y a aucune transparence
-
des lois ou pratiques administratives empêchent un échange de
renseignements avec les administrations étrangères en ce qui concerne
les contribuables non soumis à des impôts
- l'absence d'activités concrètes, pour attirer les investissements et les transactions.
Moyens d'évasion fiscale
- Conservation de l'argent hors du circuit bancaire, en espèces4
- l'or en lingots, ne laissant pas de trace de transaction4.
- Changer de nationalité en prenant celle d'un pays fiscalement
attrayant comme le Canada, Belize, Malte, Andorre, Saint-Kitts-et-Nevis4.
- l'assurance-vie,
les comptes bancaires et les investissements étant détenus au nom de la
compagnie d'assurance, ce qui libère le contractant de l'obligation de
déclarer le compte, tout en lui permettant de contrôler les actifs et
les placements4.
- le compte en Suisse, désormais moins attrayant depuis que ce pays s'est aligné sur les standards de l'OCDE. Les banques en Suisse appliquant la règle de connaître l'ayant droit économique final4.
- le compte au Guatemala, où l'obligation pour une banque de connaître
l'ayant droit économique final n'existe pas, permettant ainsi à un
avocat de servir de prête-nom pour un client via une société offshore4.
- la fiducie
(trust) fonctionne selon le principe du paravent, via un don d'un
constituant (settlor) qui se défait de sa fortune au profit de
mandataire (trustee) qui la gère pour les bénéficiaires, par exemple des
organismes de charité. Tout le travail des conseillers qui font ce
montage consiste à compliquer et à opacifier le schéma pour qu'au final
le mandataire ne soit plus qu'un prêt-nom et le constituant le véritable
ayant droit4.
C'est le
paradis fiscal
le plus connu, du moins en France. Régulièrement épinglée par l'OCDE
pour son non-respect des normes internationales contre la fraude
fiscale, la
Suisse reste incontestablement le
1er paradis fiscal au monde.
Le pays tente cependant de durcir sa législation, et promet de nouvelles mesures concrètes d'ici à septembre 2012.
Comment le très discret Monsieur Kieber a mis à mal le secret fiscal du Liechstenstein
Heinrich Kieber,
42 ans, est un homme discret et solitaire. Un gars
simple, amateur de voyages et de mountain bike, comme l'a révélé au
magazine allemand
Der Spiegel
sa maman Maria. C'est pourtant cet homme qui, en monnayant aux services
secrets allemands des listings confidentiels d'une banque du
Liechtenstein, le Liechtenstein Global Trust (LGT), a fait éclater
mi-février un vaste scandale d'évasion fiscale outre-Rhin. Scandale qui
dépasse depuis les frontières allemandes et touche également
la France.
Heinrich Kieber a grandi entre la Suisse, où vit sa mère et le
Liechtenstein, le pays de son père. Dans son parcours, rien de bien
remarquable jusqu'en 1996. Cette année-là, Kieber commet son premier
méfait. La faute originelle qui va changer son destin. Pour acheter un
appartement à Barcelone, Heinrich Kieber
signe un chèque sans provisions
de 600 000 francs suisses (380.000 euros). L'Espagne lance un mandat
d'arrêt international. La police met du temps à retrouver sa trace.
Rentré au Liechtenstein, Kieber
est embauché en 1999 chez un prestataire de LGT, la banque de la famille princière de la Principauté.
Deux ans plus tard, la LGT l'emploie comme
archiviste.
Son travail : vérifier que tous les dossiers de la banque, même les
plus confidentiels, sont bien numérisés. Mais en octobre 2001,
l'affaire espagnole le rattrape. Kieber est condamné par un tribunal du
Liechtenstein à honorer ses dettes en Espagne. Il fait appel, et
retourne numériser ses archives. Las ! En novembre 2002, le jugement est
confirmé. Kieber écope même de quatre ans de prison !
Le si discret M. Kieber panique : pour échapper à la prison, il décide de fuir. Avec, dans son baluchon,
quatre DVD
contenant des informations détaillées sur 4527 fondations domiciliées
au Liechtenstein entre 1970 et 2005. Ces fondations (Stiftungen) sont au
cœur du secret fiscal de la Principauté, paravents discrets pour les
contribuables allemands, français ou américains qui veulent dissimuler
aux services fiscaux de leurs pays
héritages, plus-values immobilières ou profits plus ou moins illégalement obtenus.
Mais Kieber se lasse de cet exil forcé. Au bout de trois mois, il
décide donc de renouer le contact. Et de taper directement au sommet de
l'Etat : Kieber envoie au prince héritier Hans-Adam du Liechtenstein une
cassette où il menace de diffuser les DVD aux médias internationaux
si le prince n'intercède pas en sa faveur. Offensé, Hans Adam refuse. Le Liechtenstein lance un mandat d'arrêt international contre Kieber.
Mais ce ne seront pas les fins limiers de la
police de Vaduz qui le retrouveront. Inquiète des menaces de son ancien
employé qui menace de faire exploser la banque,
la LGT se met à sa recherche.
Et débusque finalement Kieber. Les négociations commencent. En échange
d'un appartement et du paiement de ses frais d'avocat, Kieber accepte
finalement de remettre à la banque les fameux DVD...
Il y aurait plus de 150 noms de riches Britanniques et de plusieurs autres pays sur ces DVD.
Et en mai 2003,
il rentre au pays. Mais la justice du Liechtenstein, elle, n'a pas
pardonné l'offense faite au prince. En octobre 2003, Kieber est à
nouveau condamné à quatre ans de prison, cette fois pour
fraudes, menaces et recel de documents volés.
Kieber supplie le prince de témoigner en sa faveur. Cette fois, Hans
Adam accepte. Pensant, sans doute, faire taire définitivement ce maître
chanteur qui menace la rente de son petit royaume...
Autour de Kieber, l'étau judiciaire se desserre un peu. En janvier 2004, la Cour suprême du Liechtenstein
ramène la peine de Kieber à un an de prison et trois avec sursis. En octobre, l'Espagne abandonne définitivement les poursuites dans l'affaire des chèques sans provision. Kieber
est laissé en liberté.
Mais Kieber n'en démord pas : il veut être innocenté, lavé de toute
accusation. En avril 2005, il forme donc un recours pour être gracié.
Le prince Hans Adam refuse. Kieber enrage. Il décide alors de
diffuser les DVD dont il a gardé une copie, contacte les services
fiscaux américains et britanniques, puis, en janvier 2006, le
Bundesnachrichtendienst, la DST allemande. Dans l'email qu'il envoie au
BND, Kieber joue les justiciers. Il dit
« ne plus supporter » la magouille et la tricherie et ces multimillionnaires qui continuent d'amasser des fortunes sans payer d'impôts.
Le BND saute sur l'occasion. En juin, Kieber transmet les DVD au
BND. Avec l'accord du ministre des finances Peer Steinbrück, les
services secrets allemands lui donnent 4,6 millions d'euros (4,2
millions... après impôts) et organisent son exfiltration. Depuis, «
Henry » – le nom de code de Kieber – coule des jours tranquilles.
Peut-être en Suisse, peut-être en Australie... Kieber, qui a changé de nom, est désormais un homme riche. « Riche mais seul », constate
Der Spiegel.
A moins que, dans son exil doré, Kieber ne rencontre la femme de sa
vie. Interrogée par l'hebdomadaire, sa mère Maria n'y croit pas trop.
Son fils, dit-elle, n'a jamais eu de succès avec les femmes.
Depuis le début de la crise financière, les états, très endettés, cherchent
par tous les moyens à augmenter les rentrées fiscales. Une bataille contre
l’évasion fiscale est donc engagée :
« Il est évident que chaque pays à ses propres lois.
L’Amérique a des lois fiscales différentes de celles du Liechtenstein. Si moi
j’ai commis une évasion fiscale au Liechtenstein je dois simplement payer plus
d’impôts par la suite, mais je ne suis
pas poursuivi pénalement. Mais si je falsifie délibérément des documents, là je
serai poursuivi. Voilà
l’une de nos différences. Nous respectons la position des autres pays,
mais respectez la notre également ! Il n y a pas de loi internationale qui
exige la coopération entre les administrations fiscales. Nous, nous pratiquons
cette coopération ! Et de plus en plus ! »
C’est ainsi que le Prince Nicolas de Liechtenstein a répondu
à la question du journaliste de la BBC « Etes-vous un escroc, Monsieur le
prince ? ». Car la
banque LGT est la propriété de la famille princière. Mais le
journaliste britannique révèle également une autre information gênante.
Heinrich Kieber n’est pas le
Robin des Bois des contes pour enfants.
REF.: Mathieu Magnaudeix