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vendredi 14 mai 2021

CSN: Faut ajouter des clauses de protection des lanceurs d’alerte,car une lanceuse d’alerte(ADS) congédiée par le CHSLD de Saint-Laurent:

 

CSN: Faut ajouter des clauses de protection des lanceurs d’alerte,car une lanceuse d’alerte(ADS) congédiée par le CHSLD de Saint-Laurent:

 

Une aide de service(ADS,non syndiqué et subventionné) embauchée au CHSLD de Saint-Laurent par l’entremise du programme « Je contribue » a été congédiée peu après avoir dénoncé dans Le Devoir les conditions de vie inacceptables dans lesquelles les résidents étaient maintenus. Le partage de photos et de vidéos destinées à prouver ses dires à notre journaliste est au cœur des raisons justifiant le licenciement de la lanceuse d’alerte.

Marie-Anne Labelle, 24 ans, affirme pourtant avoir agi en droite ligne avec les appels du gouvernement Legault à dénoncer les situations jugées intolérables dans le réseau de la santé. « Même le ministère de la Santé le dit aussi : “Dénoncez, dénoncez la maltraitance, les injustices”. C’est ça que j’ai fait. Je suis vraiment fière de l’avoir fait », affirme la jeune femme.

 

 

Interrogé dans le cadre de notre enquête sur le phénomène de la dénonciation dans le monde de la santé, le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, demeure catégorique : « L’omertà dans le réseau de la santé, c’est terminé. Les employés du réseau doivent se sentir à l’aise et libres de parler des situations qu’ils jugent préoccupantes sans crainte de représailles de la part des gestionnaires en place », avait-il fait savoir par courriel au Devoir. Il n’a toutefois pas été invité à commenter le cas de Mme Labelle.

Les dénonciateurs savent-ils toutefois qu’en répondant à cet appel ils empruntent un parcours risqué, jouant même là possiblement leur emploi ? Le 8 avril dernier, c’est exactement ce qui est arrivé à Marie-Anne Labelle. Un mois plus tôt, la jeune femme avait dénoncé, sous couvert de l’anonymat, dans les pages du Devoir les conditions de vie des résidents de l’établissement.

Avec elle, deux ex-employées et trois résidents de l’unité spécifique du CHSLD avaient livré leurs témoignages, déplorant le fait que des résidents soient reclus dans leurs chambres fermées par des demi-portes et n’aient pas pris de douches pendant plusieurs semaines lors des périodes d’éclosion. Ces allégations ont été réfutées par le CIUSSS du Nord-de-l’Île de Montréal, qui considère que l’utilisation de demi-portes était justifiée dans les circonstances de la pandémie de COVID-19 et qui précise que la toilette aux chambres était tout de même effectuée.

Avant de confier au Devoir une situation qu’elle jugeait intenable, Mme Labelle affirme avoir parlé de la situation à sa supérieure immédiate, et aussi au chef infirmier. Sans succès. Une de ses collègues a quant à elle déposé une plainte auprès du Commissariat aux plaintes et à la qualité des services du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal.

Pour corroborer ses dires dans le cadre de notre enquête, Marie-Anne Labelle a accepté de faire parvenir au Devoir des photos et des vidéos attestant de la présence d’une quinzaine de demi-portes toujours maintenues alors que la plupart des usagers étaient vaccinés, près d’un an après le début de la pandémie à l’unité spécifique du CHSLD.

Nous en avons publié une seule, montrant une demi-porte d’une chambre de l’unité située au 5e étage. Les autres clichés, dont un où l’on trouve une résidente en arrière-plan, ont servi aux fins de l’enquête à corroborer les témoignages recueillis et sont restés privés dans le cadre de la relation de confidentialité entre source et journaliste. Ce transfert de photos fut toutefois lourd de conséquences.

Quelques jours après la publication de l’enquête, l’aide de service raconte avoir été interrogée par le coordinateur de l’établissement ainsi que par une chef d’unité, qui lui ont demandé si elle avait pris et partagé des images du CHSLD. Elle a reconnu avoir effectivement envoyé des photos à une journaliste.

« J’ai été hyper franche. Je pense vraiment que c’est bien de dénoncer. C’est ça qui va faire changer les choses, qui va améliorer la situation », lance Marie-Anne Labelle.

La séquence des événements s’accélère ensuite. Dès le lendemain, on modifie ses tâches. Au cours du mois qui s’écoule entre la publication de l’enquête et le congédiement, Marie-Anne Labelle sera rencontrée à deux reprises par son employeur au sujet de deux nouveaux incidents au cours desquels on lui reprochera d’outrepasser son rôle, ce qui entraîne, selon l’employeur, insubordination et création d’un climat de travail malsain, des affirmations que réfute fermement l’ex-employée. Le 16 mars, elle apprend qu’elle est suspendue avec solde pour fins d’enquête. Le 8 avril, son contrat d’embauche temporaire est résilié. La lettre de renvoi évoque trois « situations et événements » où Mme Labelle a « outrepassé [son] rôle », malgré des « attentes claires » qui lui ont été signifiées.

Professeure à l’École des sciences infirmières de l’Université d’Ottawa, Amélie Perron est aussi codirectrice de l’Observatoire infirmier des Universités d’Ottawa et de Victoria. Elle étudie de très près le phénomène de la dénonciation depuis 2017 et les représailles envers les lanceurs d’alerte. Elle précise qu’il est fréquent que les personnes qui dénoncent voient leurs responsabilités et leurs tâches modifiées.

« Souvent, ces personnes vont être mises sous surveillance accrue par des supérieurs. Donc on va commencer à scruter de très près ce qu’elles ont fait dans le passé et ce qu’elles vont faire à partir de maintenant. Il y a comme un dossier qui peut être monté au sujet de cette personne pour prouver par exemple sa piètre performance au travail, ou bien son insubordination aux directives. Des erreurs ou bien des choses qu’on va réinterpréter comme des erreurs vont être identifiées et on va monter un genre de dossier pour justifier le fait qu’on a un employé qui est problématique. Les représailles envers les dénonciateurs sont très faciles à maquiller en processus de ressources humaines conformes », estime-t-elle.

Des images aux lourdes conséquences

Engagée dans le cadre du programme Je contribue, Marie-Anne Labelle n’est pas syndiquée et doit se présenter seule à la rencontre avec la direction du CHSLD de Saint-Laurent, trois semaines après sa suspension. « Je me suis sentie un peu piégée », estime Marie-Anne Labelle.

« Ils revenaient sur les photos et les vidéos. Je pense que c’est le gros pourquoi de mon congédiement dans le fond. Ils l’ont mentionné en masse dans le meeting. Ils ont dit : juste les photos, c’est déjà suffisant pour qu’on te congédie », se souvient-elle.

L’un des motifs de congédiement évoqués dans la lettre de fin de contrat envoyée à Mme Labelle vise en effet précisément l’envoi de photos au Devoir. On lui reproche d’avoir « contrevenu à la confidentialité des renseignements » auxquels elle était tenue en vertu de son contrat en prenant « des photos et des vidéos de résidents vulnérables du 5e étage du CHSLD de Saint-Laurent sans leur consentement et [en ayant] partagé leurs coordonnées auprès de tiers ».

Après analyse du dossier, les autorités compétentes de notre organisation ont confirmé que Mme Labelle aurait contrevenu à ses obligations à plusieurs égards, notamment au respect des politiques et règles en matière de confidentialité et de vie privée des usagers

 

Des allégations que réfute Mme Labelle, puisque les résidents qui se sont confiés au Devoir sont entrés en contact avec notre journaliste.

Avocat spécialisé en droit du travail chez Norton Rose Fulbright, Éric Lallier précise que le devoir de loyauté des employés envers l’employeur comme il est inscrit au Code civil du Québec prend diverses formes, et qu’y contrevenir est bel et bien un motif de congédiement.

« Ça comprend entre autres la confidentialité des renseignements qu’on obtient dans le cadre de son travail. Ce qui va inclure bien évidemment les images, parce que ça peut avoir comme effet de transmettre publiquement des informations qui auraient dû rester privées », affirme l’avocat.

Il existe toutefois une jurisprudence qui reconnaît la légitimité du partage de ces informations sensibles dans certains contextes.

« Un employé qui transmet des informations confidentielles mais dans un but légitime, après avoir soumis des problèmes à son employeur sans que ce dernier l’ait écouté et qu’il y a des questions qui dépassent ses propres intérêts, qui ont un impact public, alors là, il y a quand même de la jurisprudence qui reconnaît que, dans un tel contexte, un employé peut transmettre de l’information confidentielle, mais dans un cadre très précis », ajoute-t-il.

Interrogé à nouveau par Le Devoir sur la fin abrupte du contrat de Mme Labelle, le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal réfute avoir congédié Marie-Anne Labelle à cause de son témoignage publié dans nos pages.

« Les motifs ayant mené à la décision de la résiliation de son contrat sont bien expliqués dans la lettre et ne concernent aucunement les allégations qu’elle a pu faire auprès de vous précédemment », indique Marie-Hélène Giguère, conseillère-cadre, bureau des relations avec les médias et affaires publiques du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. « Après analyse du dossier, les autorités compétentes de notre organisation ont confirmé que Mme Labelle aurait contrevenu à ses obligations à plusieurs égards, notamment au respect des politiques et règles en matière de confidentialité et de vie privée des usagers », ajoute-t-elle.

Selon Amélie Perron, professeure à l’École des sciences infirmières de l’Université d’Ottawa, les organisations qui vont sévir contre les lanceurs d’alerte ne vont bien souvent pas invoquer la question de la dénonciation, mais la manière dont la personne s’y est prise pour dénoncer.

« Ce sont ces technicalités qui vont souvent justifier des démotions, des suspensions ou des licenciements. C’est extrêmement fréquent, et c’est difficile de départager », explique Mme Perron.

« Je trouve intéressant que l’organisation n’ait pas choisi d’emblée de la licencier. Mettre quelqu’un à la porte tout de suite après une plainte de ce genre-là, en effet, ça ne paraît pas bien. Et puis surtout dans le contexte actuel », ajoute-t-elle.

Pour Jean-François Dubé, président du syndicat des travailleuses et des travailleurs du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, le CHSLD de Saint-Laurent a profité du fait que Marie-Anne Labelle n’était pas syndiquée pour sévir. « Selon notre conseiller juridique, pour les photos prises à l’intérieur de nos établissements, on ne doit pas y voir de patients évidemment [pour les diffuser]. Si les photos [avec des visages] n’ont jamais été publiées, la personne congédiée devrait immédiatement contacter les normes du travail, car cela semble abusif », estime M. Dubé. Mme Labelle ne compte pas entreprendre de démarches en ce sens.

J’ai été hyper franche. Je pense vraiment que c’est bien de dénoncer. C’est ça qui va faire changer les choses, qui va améliorer la situation.

Au nom de la liberté d’expression

Le Syndicat canadien de la fonction publique est actuellement en négociation pour le renouvellement de la convention collective des travailleurs de la santé et des services sociaux afin d’ajouter des clauses de protection des lanceurs d’alerte. Pour Karine Cabana, conseillère syndicale et coordonnatrice du secteur des affaires sociales [santé et services sociaux] du SCFP au Québec, le cas de Marie-Anne Labelle est exactement le genre de situation que les nouvelles clauses tenteront de prévenir. Selon elle, la loi sur les lanceurs d’alerte ne serait pas suffisante.

« La loi dit que tu dois dénoncer soit à une instance de ton organisation qui a été nommée ou directement au Protecteur du citoyen. Mais ça ne permet aucun autre type de dénonciation, sauf s’il y a un danger grave immédiat », explique Mme Cabana. La conseillère syndicale invoque la liberté d’expression afin de protéger les lanceurs d’alerte qui dénonceraient anonymement des situations anormales.

« On veut arrêter la chasse aux sorcières. À partir du moment où la population en général, quelqu’un de normal, ne peut pas identifier que c’est telle personne, nous, on pense que cette dénonciation-là est le cadre de la liberté d’expression et il ne doit pas y avoir une enquête qui soit faite pour rechercher qui est la personne responsable de cette fuite-là ou de cette information. Pour autant bien sûr que ce ne soit pas un discours diffamatoire ou mensonger », conclut Mme Cabana.

Avec la collaboration de Catherine Lalonde

 

REF.:

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