-Je commencerai par dire que je n’ai jamais violé 
personne, je trouve que ça se place bien dans la conversation ces 
jours-ci. Reste que je suis un homme, et comme homme, je suis un violeur
 potentiel, oui madame, c’est comme ça qu’on disait dans les années 
70-80, violeur potentiel. Marilyn French, Judith Lewis Herman, Susan 
Brownmiller dans  : « de tout temps le viol est le moyen par lequel  ont maintenu  dans un état de peur et d’asservissement ».
Pour
 Brownmiller, qui a été dans les années 70-80 la Simone de Beauvoir 
américaine, il y a deux sortes d’hommes : les violeurs et ceux qui sont 
farouchement contre le viol, mais ceux-là sont peut-être encore pires, 
ils défendent ce qu’ils considèrent comme leur propriété exclusive, le 
vagin de leur (s) femme (s).
Ce qu’il y avait de pratique avec les
 féministes de ces années-là, c’est qu’elles ne dénonçaient personne en 
particulier, elles fourraient tous les hommes dans le même grand panier 
et rabattaient le couvercle. On y était au chaud et solidaires, on 
continuait comme si de rien n’était à faire nos jokes d’épais, les épais
 n’ont jamais été aussi épais qu’à cette grande époque de féminisme 
radical.
Ce qui est beaucoup plus embêtant sur Twitter et Facebook
 ces jours-ci, c’est qu’on y dénonce aussi les hommes, mais un par un. 
Mon oncle. Mon père. Mon prof. Mon coach. Mon mari. Mon boss. Le type 
dans le métro. L’animateur de Toronto. Les deux députés libéraux. Au 
fait, sait-on ce qu’ils ont fait, ces deux-là ? Des beaux salauds, 
anyway. Tolérance zéro. Une main baladeuse ? Qu’on la coupe.
C’est
 ce climat un peu « Allemagne de l’Est » qui me fait revenir sur le 
sujet de l’heure même si, après les douloureuses affaires DSK et 
Polanski, je m’étais juré : plus jamais. J’ai résisté jusqu’à ce que 
j’entende à la radio un extrait d’une confession sur Twitter qui 
disait : « j’ai été agressée par quelqu’un de très connu ». Précisément 
ce genre de déballage qui me tue. Exactement ce genre de confusion entre
 dénonciation (d’une situation) et délation (la dénonciation d’une 
personne).
Mais plus que de la délation. On parle ici d’un 
système, d’un mouvement, d’une thérapie collective ayant pour ressort la
 délation.
Ce n’est pas le coup de téléphone aux flics pour dénoncer un voisin qui fait pousser du  c’est un appel à tous, thérapeutique : dénoncez, dénoncez, cela vous fera du bien.
Chaque fois que la délation est érigée en système, chaque fois elle sert à de tragiques règlements de comptes.
Combien
 de fausses accusations d’agressions dans les divorces ? Plus des trois 
quarts des profs accusés d’agressions sexuelles, aussitôt suspendus et 
mis au ban de la société, sont, à la fin de l’enquête, complètement 
blanchis, et complètement détruits même si ce sont les enfants qui 
mentaient.
Pour les féministes de mon temps, le viol était l’ 
« acting out » d’une attitude commune à tous les mâles, la suite logique
 du regard que tous les hommes portaient sur la fille qui passe. Depuis,
 on est rentré dans le détail. Qu’est-ce qu’un viol ?
Le mari rentre émoustillé de son party de bureau, sa femme endormie dit non. Il dit oui pareil. C’est un viol.
Sauf que le plus souvent, elle ne dit pas non. Elle dit rien même si elle n’a pas envie. Une agression sexuelle ?
J’ai
 connu une fille qui couchait de temps en temps avec un ministre. Il 
l’appelait quand il avait un moment. Telle heure, telle chambre. Des 
années plus tard, j’ai entendu la fille (qui était une collègue) 
rationaliser que c’était un rapport d’autorité entre un homme de pouvoir
 et la pauvre petite oie blanche qu’elle était à l’époque… C’était pas 
faux. Je me suis permis de l’envoyer chier quand même.
J’ai connu 
une étudiante qui a épousé son (vieux) prof, ils ont eu un de ces 
divorces tumultueux qui font revoler les gros mots, as-tu dit viol, ma 
chérie ? T’oublies que j’étais là.
Tu comprends pas.
Mais 
si. Très bien. Il t’a séduite du haut de sa chaire de prof, du haut de 
son autorité, de l’aura de sa réputation, c’est toi qui as sauté dessus,
 mais c’est lui qui t’a violée, tu parles que je comprends.
Vous 
allez hurler. Je connais une fille  que son mononcle taponnait, un bien 
 grand désagrément, résume-t-elle,  mais un traumatisme ? Pas vraiment. 
 Sauf le traumatisme de…  de ne pas avoir été traumatisée.
Vous 
me faites penser, j’en connais une autre qui n’en faisait pas un plat 
non plus (ni un plaisir), vous la connaissez aussi, Marguerite 
Yourcenar, son oncle aussi, je crois…
Où je veux en venir ? À 
quelques vérités qui n’en sont pas. Non, l’émancipation ne passe pas par
 une grande chasse à l’homme. Non, on ne guérira pas du viol sur 
Facebook et Twitter. On en guérira avec le temps qui, en ce domaine 
comme en tant d’autres, avance à tout petits pas, d’autant plus petits 
qu’on a coupé dans les cours d’éducation sexuelle.
Si cela fait du
 bien de parler à une majorité de femmes, d’autres qui n’ont pas envie 
de raconter leur histoire ne sont pas sans courage pour autant. N’y en 
aurait-il qu’une seule que cette grande lessive rebute, une seule qui 
s’étant reconstruite pendant des années dans le secret du cabinet de son
 psy s’est sentie bousculée – allez, parle, nom de Dieu, parle – une 
seule, cette chronique est pour elle.
REF.: