Un jeu vidéo pour détecter Alzheimer
Sea Hero Quest est un jeu vidéo créé par des
neuroscientifiques pour mesurer les capacités d'orientation dans
l'espace. L'altération de celles-ci peut en effet annoncer une maladie
d'Alzheimer. Grâce au succès du jeu, les chercheurs ont eu accès aux
résultats de 4 millions de personnes dans le
monde, une première pour une étude de ce type.
Une équipe de scientifiques britanniques et français a développé
un jeu vidéo qui offre un moyen de détecter des signes de démence, avant même les premiers symptômes de la maladie.
Sea Hero Quest VR est un jeu de réalité virtuelle
aux graphismes très simples qui embarque le joueur dans un voyage en
haute mer où il doit naviguer tout en combattant des monstres. Dans
l’article publié dans la revue
PNAS, les neuroscientifiques à l’origine de l’étude expliquent : «
l’évaluation
du comportement de navigation dans l’application Sea Hero Quest fournit
un moyen de dissocier le vieillissement sain du vieillissement
d’individus génétiquement à risque ».
Les
recherches sont donc basées sur les capacités d’orientation et de
mémorisation des joueurs. En résumé, les joueurs réussissant le moins
bien dans le jeu sont porteurs du gène E3E4, qui indique un fort risque
de développer la maladie d’Alzheimer. Le gène étant préexistant à
l’apparition des symptômes visibles,
le jeu constitue donc un excellent moyen de diagnostiquer la maladie très tôt.
En
matière de
recherche médicale, le volontaire 2.0 n'a plus rien de l'ancien cliché du cobaye humain. De chez lui ou dans les
transports en commun, il
joue sur son Smartphone à... un jeu
vidéo. En l'occurrence, Sea Hero Quest, jeu gratuit, qui, dans sa version classique ou en
réalité virtuelle, offre plusieurs défis de
navigation et d'
orientation à un capitaine de
navire. Mais dans cet
univers fictif, les performances du joueur ne
servent
pas qu'à progresser à travers les niveaux, elles sont soigneusement
enregistrées et envoyées, avec son accord, à une équipe de chercheurs en
neurosciences spécialisés dans le
dépistage de la
maladie d'Alzheimer.
Une échelle planétaire
Répartis entre le Laboratoire des sciences du
numérique à Nantes (LS2N), l'University College de
Londres et l'University of East Anglia de Norwich, les scientifiques disposent d'une
base de données gigantesque issue des 4 millions de joueurs de Sea Hero Quest. Pour Antoine Coutrot, chargé de
recherche au LS2N, l'enjeu principal était justement de constituer le plus grand catalogue possible.
"Dans la littérature scientifique des neurosciences, les cohortes comportent entre 50 et 100 candidats quand tout va bien, déplore Antoine Coutrot.
Pour notre étude sur Alzheimer, nous voulions atteindre une échelle planétaire."Une façon de contourner l'un des principaux écueils des études actuelles, qui présentent souvent un important problème de
reproductibilité:
"Les résultats obtenus changent beaucoup trop lorsque les mesures sont à nouveau prises sur d'autres personnes", explique le
chercheur.
Le joueur, après avoir mémorisé la carte du niveau, doit naviguer le
plus rapidement possible vers les bouées (points 1 à 3). Diana QUACH
L'initiative vient de l'entreprise
Deutsche Telekom,
qui, en 2015, a contacté l'University College de Londres, où Antoine
Coutrot réalisait son postdoctorat, et celle d'East Anglia. Les
chercheurs ont rapidement compris que pour attirer le maximum de
personnes, ils ne pouvaient pas concevoir eux-mêmes le jeu. Ils ont donc
fait appel à un
développeur professionnel,
Glitchers, qui avait déjà plusieurs jeux mobiles à son actif. À
force d'échanges sur plusieurs
mois, des tâches et des exercices issus de la littérature scientifique ont été intégrés de manière totalement ludique et agréable.
"Le jeu est sorti en mai 2016, disponible gratuitement sur l'Apple Store et Google Play, précise Antoine Coutrot.
Nous
nous attendions à avoir plusieurs milliers de joueurs. Ils ont en fait
été des centaines de milliers, puis des millions. Une belle surprise !"
Les chercheurs en ont ainsi tiré les performances d'orientation de 4
millions de personnes, qu'ils ont pu croiser avec leur âge, leur
sexe et leur
pays.
Pas de risque de biais lié à une pratique régulière des jeux vidéos:
les chercheurs se sont en effet assuré, en demandant à une équipe de
volontaires de se prêter à des exercices d'orientation dans les rues de
Paris et de Londres, que les performances coïncidaient aux résultats obtenus dans Sea Hero Quest.
L'orientation sous influence
Une première
vague de résultats,
publiée en 2018,
a d'abord montré que l'âge est un facteur majeur dans les compétences
en orientation, hors Alzheimer: notre faculté à nous orienter décroît en
vieillissant. Viennent ensuite le sexe, puis l'origine.
"La
nationalité a un impact qui est très corrélé au PIB du pays en question:
l'éducation et les opportunités de voyager à l'intérieur et à
l'extérieur de son pays influencent la façon de s'orienter dans
l'espace, insiste Antoine Coutrot.
De même, les meilleures
performances des hommes, souvent observées dans la littérature,
dépendent du degré d'égalité des sexes dans le pays considéré. Les
différences, très marquées en Égypte ou en Arabie Saoudite, s'estompent
presque totalement en Scandinavie. L'importance de la culture et de la société sur l'orientation spatiale n'aurait pas pu être mesurée sans un jeu de données de cette ampleur."
Un groupe de volontaires a dû mémoriser une carte et naviguer dans un
labyrinthe, dans le jeu puis dans le monde réel, afin de valider que
les capacités d'orientation étaient semblables dans les deux univers.
La
seconde salve scientifique, centrée sur Alzheimer,
vient de paraître
dans la revue PNAS. Les chercheurs y ont comparé les résultats à Sea
Hero Quest aux symptômes précoces de la maladie d'Alzheimer. Leur
conclusion: les personnes aux mauvais résultats, par rapport à la
moyenne
des individus de même âge, sexe et origine, présentent davantage de
prédispositions à la maladie d'Alzheimer, même quand les tests
classiques ne décèlent rien.
En particulier, ils ont plus de chances de porter l'allèleFermerVersion
variable d'un même
gène. Par exemple,
vert, marron,
bleu pour le gène codant la
couleur
des yeux. 4 du gène apolipoprotéine E (ApoE), qui multiplie par quatre
les risques de développer la maladie d'Alzheimer et est présent chez
environ 20 % de la population. Si le jeu n'a pas vocation à servir d'
outil
de dépistage, sa base de données pourra en revanche offrir un
référentiel aux médecins lors de leurs diagnostics. Si une dame âgée
présente des soucis d'orientation, cela permettra de savoir si ces
difficultés sont normales pour son groupe démographique ou si elles sont
plus inquiétantes.
L'aide de l'intelligence artificielle
Les chercheurs poursuivent
aujourd'hui l'exploitation de cette phénoménale réserve de données, qui
attire d'autres laboratoires prêts à collaborer.
"Une altération de l'orientation peut être mesurée dans différentes maladies que celle d'Alzheimer, précise Antoine Coutrot.
Elle
est liée à des zones cérébrales profondes, comme l'hippocampe, en
rapport avec la mémoire. On explore la liste des facultés et maladies
cognitives pouvant être ainsi quantifiées, comme l'épilepsie ou le syndrome post-traumatique.
" Ce travail réclame l'aide d'intelligences artificielles (IA) et Antoine Coutrot planche à présent sur le
machine learning, ou "
apprentissage automatique".
Le but est d'entraîner des algorithmes afin qu'ils repèrent des groupes
d'individus à risque en dehors des cas les plus évidents, comme les
personnes âgées. L'IA pourrait également découvrir que des ensembles
apparemment différents partagent certains comportements, et essayer de
comprendre pourquoi. Comme quoi, même pour des chercheurs, il est
difficile de s'orienter seuls dans les données de 4 millions de
terriens...
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