Coup de boîte à lunch, cyberintimidation, lançage d’objets.
Une commission scolaire, deux enseignantes et une directrice d’école
sont condamnées à payer près de 70 000$ à une famille de la Montérégie
pour ne pas avoir protégé leur fille de ses intimidateurs.
intimidation, écoles, livres, Céline Barsalo Leblanc
«Les défendeurs ont priorisé leur réputation professionnelle et
celle de l’école, plutôt que de protéger [l’enfant]», conclut la juge
Claude Dallaire dans une décision rendue le 1er octobre.
En 2012, Le Journal avait publié un article sur la poursuite
intentée par des parents pour 400 000$ en raison de l’intimidation qu’a
subie leur fillette en 2010-2011 à l’école Micheline-Brodeur de
Saint-Paul-d’Abbotsford, près de Granby.
Sept ans plus tard, la justice leur donne partiellement raison.
Elle condamne la commission scolaire des Hautes-Rivières, ainsi que
trois membres de son personnel, à verser un total de 68 000$ à la
famille pour leur «inaction».
Le Journal a choisi de ne pas nommer la fillette, qui avait entre 9
et 10 ans au moment des faits, pour ne pas lui causer de préjudice.
«Full lette»
Dès sa 3e année, elle reçoit un diagnostic d’arthrite juvénile qui
l’oblige à porter des orthèses. Mais c’est lors de sa 4e année qu’elle
commence à être ciblée à répétition par des élèves, malgré les
interventions de la mère auprès de l’école, raconte-t-on dans le
jugement.
Par exemple, un garçon répond à un potentiel commentaire de la
fillette en lui assenant sur le dos un coup de boîte à lunch
contenant un thermos.
Un mois plus tard, des élèves la qualifient de «full lette» sur Facebook.
En mars, trois enfants lui lancent des poches et des élastiques à deux reprises, indique le document.
L’enseignante qui surveillait la classe à ce moment-là n’était pas
au courant de la situation d’intimidation que vivait la fillette, même
si la direction s’était engagée dès décembre à aviser le personnel,
explique-t-on dans le jugement.
De plus, la Commission scolaire a d’abord refusé de la changer de
classe, puis d’école. «Pourquoi toute cette obstination?», se demande la
juge.
Enfant à problème?
Dans la version de l’école, elle est décrite comme une enfant qui
«provoque les réactions des autres par son attitude hautaine» et qui a
«besoin d’attention», peut-on lire dans le jugement.
Relevant plusieurs contradictions, la juge a plutôt conclu que la
fillette n’était pas une «enfant à problème» mais qu’elle a fait les
frais d'une vision «biaisée» des intervenants de l’école. Elle
conclut que la directrice Chantal Majeau et les enseignantes Marie-Josée
Labrie et Chantal Lapointe ont fait de «l’aveuglement volontaire»
vis-à-vis d’une enfant envers laquelle elles avaient «peu d’empathie».
D’ailleurs, la situation s’est améliorée dès que la fillette a changé d’école, note-t-on.
Depuis les événements, une loi provinciale est entrée en vigueur en
2012 pour obliger toutes les écoles à se doter d’un protocole de lutte à
l’intimidation. Mais déjà à cette époque, la nécessité de protéger
cette enfant «vulnérable» relevait de «gros bon sens et de sensibilité»,
note la juge.
Jugement «important»
Ce n’est pas la première fois qu’un tribunal condamne une
commission scolaire à dédommager des parents pour un cas d’intimidation,
indiquent plusieurs juristes consultés par Le Journal.
Mais ce jugement est tout de même «important», analyse Me Virginie
Dufresne-Lemire, car en plus de condamner l’école à compenser les
dommages subis par la famille, la juge impose des dommages punitifs.
«C’est très rare», avoue l’avocate, notamment parce qu’il faut dans ce cas prouver que la faute a été «intentionnelle».
De plus, ce jugement vient envoyer un message aux commissions
scolaires, leur rappelant l’importance de ne pas prendre l’intimidation à
la légère, abonde Patrice Deslauriers, professeur de droit à
l’Université de Montréal.
La cause a été portée en appel. Mmes Labrie, Majeau et
Lapointe ne souhaitent pas commenter le dossier, indique la Commission
scolaire des Hautes-Rivières par courriel.
Avec la collaboration de Valérie Gonthier
EXTRAITS DU JUGEMENT
«À notre avis, la mère avait raison de revenir à la charge.»
«La preuve révèle qu’elle pleurait souvent, qu’elle ne voulait pas
aller à l’école, qu’elle se sentait rejetée, isolée, insécure, et
qu’elle faisait des cauchemars.»
«Il y a eu un manque au devoir de surveillance et de soins à l’endroit d’une enfant que les défendeurs avaient sous leur garde.»
«Personne ne semble avoir pensé un instant que [l’enfant], à force
de dénoncer des comportements inadéquats de la part de ses camarades de
classe, et de se faire rabrouer, a pu se fermer et devenir moins
volubile, après s’être fait répondre des choses telles que : ‘’tu as dû
faire quelque chose pour qu’ils soient sur ton dos’’. »
«Depuis que [l’enfant] est sortie de l’école Micheline-Brodeur,
elle va beaucoup mieux. [...] Elle est appréciée à sa nouvelle école.»
REF.: