Les jeunes québécois consomment de plus en plus d’antidépresseurs, a appris le Journal . Depuis cinq ans, le nombre d’ordonnances remises aux moins de 18 ans a augmenté de 58 %, une situation que bien des experts condamnent.
Des chiffres obtenus auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) révèlent que le nombre de jeunes consommateurs d’antidépresseurs a augmenté de 15 %, entre 2006 et 2010.
Les spécialistes joints par le Journal dénoncent cette situation. Ils estiment que ces médicaments ne constituent bien souvent que «des pansements sur des plaies ouvertes. » « C’est une banalisation des troubles psychologiques que peuvent vivre nos jeunes, s’indigne Joël Monzée, psychothérapeute et docteur en neurosciences. De plus en plus, les médecins généralisent et confondent les symptômes», dit-il.
Des médecins dénoncent aussi les prescriptions À profusion de médicaments contre le cholestérol.Les compagnies pharmaceutiques ont convaincu tout le monde que le cholestérol est le nouveau démon À combattre chez l'être humain. Mais des médecins québécois estiment au contraire que tout cela est fait pour vendre des pilules qui sont, pour la plupart,inefficace.
Les statines sont devenues une pilule miracle pour compenser les mauvaises habitudes de plusieurs patients, déplorent des médecins.
« Les gens veulent une pilule qui va pallier leur mode de vie pour pouvoir continuer à manger des Big Macs » , indique Paul Poirier, professeur à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec.
«Ce n’est pas la meilleure affaire depuis le pain tranché, les statines. Mais c’est la solution pour les gens qui ne font pas les bons choix de vie», ajoute-t-il.
CHANGER LES HABITUDES
Tous les médecins interrogés par le Jour
nal à propos des statines s’entendent pour dire que les habitudes de vie jouent un rôle majeur dans l’amélioration de la santé de leurs patients.
Malbouffe, inactivité, tabagisme: ces facteurs ont une incidence négative sur le taux de cholestérol.
«Comme médecin, je ne veux pas que mon patient meure. Je vais faire de mon mieux pour qu’il se prenne en charge. Mais s’il décide de ne pas changer, je vais le pénaliser en ne lui donnant pas de statines? Je vais lui dire qu’il ne mérite pas un médicament qui peut l’aider?» demande le Dr George Thanassoulis, directeur du programme de cardiologie préventive et de génomique cardiovasculaire au Centre universitaire de santé McGill.
TROP FACILE DE PRESCRIRE ?
« Je passe un temps fou à parler d’habitudes de vie à mes patients. Mais c’est extrêmement difficile de changer et on n’obtient pas les résultats qu’on espérerait » , souligne le Dr Jean- Claude Tardif, de l’Institut de cardiologie de Montréal.
«Mais je ne pense pas que les médecins ont la gâchette trop facile sur les statines pour sauver du temps», ajoute-t-il.
De son côté, le Dr Colin Rose ne prescrit pas de statines en prévention avant que le patient ait contrôlé ses dépendances. Il constate toutefois que cette pilule est devenue la voie de la facilité.
«Tout le monde est content et c’est beaucoup moins compliqué. Qui va s’en plaindre?» souffle-t-il.
Beaucoup trop de patients québécois prennent des pilules contre le cholestérol pour rien, déplorent des médecins.
« C’est devenu un plat de bonbons, dénonce un médecin qui veut garder l’anonymat parce qu’il dit avoir reçu des pressions de la direction de son hôpital. C’est une immense bourde scientifique.»
« C’est ce qu’on appelle du marketing, croit aussi le cardiologue Colin Rose, retraité du Centre universitaire de santé McGill ( CUSM). Dans 100 ans, on va se dire qu’on était stupides de prendre cette pilule.»
DÉBAT PARTOUT
La controverse mondiale entourant les statines, qui visent à diminuer le taux de cholestérol, n’épargne pas le Québec.
Récemment, un reportage australien a créé une onde de choc, alors que des cardiologues américains ont témoigné ne pas croire aux bienfaits de ce médicament, un des plus prescrits au monde (voir autre texte).
À l’automne dernier, l’adoption de nouvelles lignes directrices pour hausser la prescription des statines à 30 % des adultes américains (plutôt que 15 %) a fait aussi beaucoup jaser.
Au Québec, la consommation de statines est d’ailleurs en forte progression. En 2013, 12,7 millions d’ordonnances ont été prescrites, selon la Régie de l’assurance maladie du Québec, un bond de 30 % depuis cinq ans (voir tableau).
Sur le marché depuis environ 30 ans, les statines sont prescrites pour diminuer le taux de cholestérol à deux catégories de patients: ceux qui ont eu un problème cardiaque, ou en prévention primaire.
Si les médecins reconnaissent en général le bienfait des statines chez les patients cardiaques, la prescription préventive ne fait pas l’unanimité. Et selon le Dr Rose, jusqu’à 95 % des prescriptions sont à titre préventif.
LE CHOLESTÉROL, UN DÉMON ?
Au Canada, les lignes directrices prévoient qu’un patient doit prendre des statines s’il a 20 % de risques d’avoir un épisode cardiaque dans les 10 prochaines années.
Plusieurs facteurs sont utilisés pour calculer le taux de risque: âge, sexe, taux de cholestérol, antécédents familiaux, habitudes de vie, etc.
«C’est du lavage de cerveau. Les compagnies pharmaceutiques ont convaincu tout le monde que le cholestérol est le démon. Mais c’est juste pour vendre des pilules! Ça n’a aucun sens», croit fermement le médecin sous le couvert de l’anonymat, qui a cessé d’en prescrire à ses patients en prévention. «Et ils se portent très bien», lance-t-il. «Il n’y a aucun effet bénéfique prouvé», ajoute le Dr Rose. Ces spécialistes sont d’ailleurs convaincus qu’un taux de cholestérol élevé ne cause pas directement des problèmes cardiaques.
CONVAINCUS DES BIENFAITS
Directeur du Centre de recherche de l’Institut de cardiologie de Montréal, le Dr JeanClaude Tardif réfute cependant ces opinions. «Depuis 40 ans, la littérature scientifique montre sans aucun doute que les statines réduisent le risque de mourir», dit-il.
«Ce qui est dommage avec le discours de ces médecins qui font du sensationnalisme, c’est que des patients qui lisent l’article cessent leur médication, alors qu’ils en ont besoin. Beaucoup de gens vont faire des infarctus s’ils cessent les statines » , ajoute-t-il.
«C’est de la médecine d’anecdote, ce ne sont pas des opinions basées sur des données, croit aussi le Dr George Thanassoulis, directeur du programme de cardiologie préventive et de génomique cardiovasculaire au CUSM. Plein de patients prennent des statines en prévention et n’ont pas d’infarctus. Mais ça ne veut pas dire qu’elles n’aident pas.»
D’ailleurs, le Québec a un haut taux de patients qui font de l’hypercholestérolémie familiale, une maladie génétique. Pour ces patients, les statines sont essentielles, souligne le Dr Tardif.Selon lui, le débat actuel concerne surtout la zone grise pour les patients qui ont un taux de risque faible ou moyen, soit entre 10 % et 20 %.