Myriam aurait aimé être la mère des anges
"Myriam aimait les hommes mais ne voulait pas de mariage, elle aimait les enfants mais ne voulait pas en avoir, elle voulait se garder libre, libre, mais pour quoi?
Peu de gens le savait : pour l'étude, pour la Connaissance...
Toute jeune déjà, elle dérobait à son frère Lazare les rouleaux de la Thora.
L’époux qu'elle cherchait, c'était le Logos, l'Information créatrice, dont elle pressentait le souffle sur les lettres carées du livre.
Cette parole lui donnait plus de plaisir que le baiser des hommes.
"La connaissance est un plaisir durable", disait-elle avec des étincelles et des éclairs dans les yeux.
Elle avait vu des hommes pieux étreindre le rouleau du Livre comme une fiancée.
C'était son désir secret, ne faire qu'un avec cette Intelligence dont témoignent les textes sacrés, cette Intelligence qui a parlé de façon humaine par la bouche des sages et des prophètes, après avoir parlé la langue des mousses, des nuages, et de tout ce qui vit et respire sous le soleil.
Secrètement, elle aurait aimé que cette Intelligence ait un visage, un corps, qu'elle puisse vraiment l'étreindre comme un homme et que son souffle soit plus fort, plus vivant que le souffle sec des parchemins, que sa peau pleine de sens lui parle davantage encore que les pages du Livre.
Elle rêvait d'un Verbe qui se ferait chair, d'un Logos incarné, cela ne pouvait être que lui son époux de parole et de souffle, mais aussi de chair et de sang.
Les lettres serrées des psaumes et du "Cantique des Cantiques" avaient éveillé en elle la nostalgie d'un visage.
Le beau visage du Christ, sans doute, mais plus simplement, le visage d'un homme qui la féconderait par son esprit et lui donnerait un enfant qui ne serait pas seulement le fruit d'un mariage des corps, mais l'espace flamboyant qui naît lorsque se rencontrent deux silences dans l'alliance commune du souffle sacré, celui de l'unité et de l'éternité.
Myriam aurait aimé être la mère des anges, mettre au monde des états de conscience singuliers et vifs, qui débordent la saisie des hommes et les ouvrent à un ciel plus vaste".
Par: Jean-Yves Leloup
Une femme innombrable (extrait)