Une jeune femme de Joliette qui est une grande
utilisatrice du réseau social Twitter affirme avoir reçu la visite de
deux enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ), mercredi, la soupçonnant
«d'incitation à la désobéissance civile» après qu'elle eut repris des
billets initialement publiés par des membres du réseau informatique
Anonymous.
Employée
de soir au soutien technique de Vidéotron, Patricia Paquette se doutait
que quelque chose clochait quand son téléphone a sonné plus tôt qu'à la
normale, à 10h30, mercredi matin. Elle n'aurait cependant pas pu
deviner que c'était lié à l'arrestation, le mois dernier, de neuf
membres du réseau Anonymous, dont six au Québec. Ils sont notamment
soupçonnés d'avoir attaqué certains sites web gouvernementaux en France
et au Québec, dont celui de la Direction centrale du renseignement
intérieur français et du ministère québécois de la Sécurité publique.
«Une série de tweets que j'ai faits il y a environ un mois et demi les
intéressait tout particulièrement. Ils m'ont expliqué que c'était à la
limite de l'encouragement à la désobéissance civile et m'ont même montré
la loi qui indique ce que ça signifie. Ils m'ont ensuite dit que la
prochaine fois que je publierai des billets de ce genre sur Twitter, ce
serait à un juge que je parlerais», raconte Mme Paquette.
Manifestement à l'aise avec les technologies internet, la femme de 35
ans explique qu'elle a repris ces messages sur son propre compte Twitter
dans le cadre d'une recherche qu'elle faisait pour rendre service à un
journaliste de la chaîne TVA. En mai dernier, Anonymous avait déclaré
vouloir s'en prendre à des sites web gouvernementaux en soutien à la
manifestation étudiante contre la hausse des droits de scolarité.
Elle ajoute que si elle ne les aidait pas à identifier la photo d'un de
ses collègues qu'ils lui ont ensuite présentée, les deux enquêteurs
allaient montrer à son employeur d'autres messages tirés de son compte
Twitter. Ceux-là révélaient publiquement les détails d'un problème
technique interne qui a empêché l'envoi de certains courriels par les
clients de Vidéotron, à la fin du mois de mai.
Une menace plutôt maladroite, estime-t-elle, car les messages en
question ont été publiés, à l'origine, par le compte même de Vidéotron
sur Twitter. «Ça m'a surtout donné l'impression qu'ils allaient à la
pêche, sans trop savoir ce qu'ils allaient tirer de mon entrevue»,
conclut celle qui, le lendemain, twittait de plus belle.
Un porte-parole joint a pour sa part indiqué que la Sûreté du Québec ne faisait «pas de commentaire sur une enquête en cours».
Diffamation par proximité?
En octobre dernier, la Cour suprême du Canada a décrété unanimement que
le fait de publier un hyperlien menant à des déclarations diffamatoires
n'était pas un acte diffamatoire en soi, et que la personne renvoyant au
message ne pouvait être tenue responsable du message. Même si elle a
été faite dans un contexte différent, cette déclaration vaut aussi dans
le cas de Twitter et de Mme Paquette, estime Vincent Gautrais,
professeur à l'Université de Montréal spécialiste du droit des
technologies de l'information.
«Le fait de retwitter quelque chose, même si ce quelque chose est
diffamatoire ou illicite, ne peut être considéré au premier abord comme
une participation à l'action, explique-t-il. Dans ce cas-ci, on ne peut
pas vraiment dire qu'il y ait eu incitation» de la part de Mme Paquette.
Les gens qui, comme cette dernière, craignent pour leur liberté
d'expression sur les réseaux sociaux sont donc protégés par la loi.
Cependant, «dans le cadre d'une enquête, il se peut très bien que des
policiers questionnent une personne à propos d'une autre personne. C'est
ce qui semble être le cas ici», conclut M. Gautrais.