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vendredi 4 août 2023

L'Évangile de Judas à la lumière du judaïsme mystique

 

L'Évangile de Judas à la lumière du judaïsme mystique



par Madeleine SCOPELLO, Chercheur au CNRS, Université Paris IV-Sorbonne.



La structure de l'Évangile de Judas a été nourrie et soutenue par le recours à plusieurs sources, à la fois gnostiques et non gnostiques, qui ont servi à l'auteur anonyme de cet apocryphe pour encadrer le face à face entre Jésus et juda. Dans ce riche patrimoine traditionnel, il nous paraît important de relever la présence de traditions religieuses du judaïsme, qui s'enracinent à la fois dans la spiritualité essénienne (écrits de la mer Morte), et plus largement la spiritualité du judaïsme mystique. Cette parenté apparaît en filigrane, tant dans le langage que dans les thèmes abordés par l'Évangile de judas. 


Cela n'est pas un cas unique dans la littérature gnostique : les traites d'Allogène et de Zostrien, appartenant au corpus de Nag Hammadi, attestent tout aussi bien une forte présence de traditions dérivées du judaïsme mystique, dont témoigne un certain nombre de textes appartenant au corpus dit "intertestamentaire", dans les litératures fleuries autour des personnages d'Abraham et d'Hénoch, par exemple.


UN TEXTE MARQUÉ PAR L'IDÉE DE DUALITÉ


L'évangile de judas est un texte construit sur une série d'arguments et de thèmes rangés sous des pôles opposés (bien-mal, lumière-ténèbres, haut-bas), une façon de procéder souvent adoptée par les auteurs gnostiques et qui confère à leurs textes une forte tension. Les deux premiers termes qui s'opposent sont mentionnés dans r'évangile de Judas en 33,10 : la voie de la droiture et la voie de la transgression, une expression technique qu'on relève fréquemment dans les textes esseniens découverts à Qumrân. Si l'opposition principale qui se dessine dans l'Évangile de Judas est celle entre le Dieu transcendant et parfait - que les gnostiques revendiquent comme le leur - et le démiurge responsable d'une création défectueuse, d'autres oppositions se dégagent entre le monde céleste et le cosmos, entre l'univers des anges de dieu et celui des archontes cosmiques, entre le corps prison de ténèbres(NDLR. L'égo en conscientisation et privée de son corps espritique,selon Aurobindo) et l'esprit lumineux(NDLR. L'esprit conscientisé et fusionné dans le corps physique,selon Aurobindo). De plus, les deux visions présentées dans ce document, celle qu'ont les disciples et celle expérimentée par Judas, s'articulent également selon ce schéma d'oppositions polaires(NDLR. donc une vision pour les conscientisés et ceux en devenir,car le macrocosme doit s'établir nécessairement dans le microcosme aussi !  ).


UN THÈME OBSÉDANT : LA SOUILLURE DU TEMPLE


Une des préoccupations majeures manifestées dans l'Évangile de judas est celle de la souillure du temple, thème abordé lors du récit d'une vision collective vécue par les disciples, à l'exclusion de Judas (38,2-41,6). Or, l'obsession de la souillure du temple est un des soucis majeurs de la secte des esséniens; celle-ci avait considéré que la prêtrise sadoqite (NDLR. aussi appelé : Les sadocites étaient considérés comme des membres éminents du clergé de Jérusalem, ayant un rôle crucial dans les rites religieux et la vie spirituelle de la communauté. Ils étaient perçus comme dépositaires de la tradition et de l'autorité religieuse.Ainsi, le terme sadocite désigne non seulement une appartenance familiale mais aussi un statut social et religieux particulier au sein de la société de l'époque.)avait souillé le temple de Jérusalem, c'est pourquoi elle s'était retirée sur les bords de la mer Morte afin de rendre à Dieu un culte spirituel, pur de toute souillure. 


Une étude ponctuelle de la terminologie technique dans l'Evangile de Judas et les écrits de la mer Morte étaye cette parenté.


L'IMPORTANCE ACCORDÉE À L'ASTROLOGIE


Un autre thème traité dans l'Évangile de judas qui nous paraît influencé par la pensée de l'essénisme est celui du déterminisme astrologique : dans les horoscopes de Qumrân, on affirme que chaque homme a sa destinée inscrite dans les cieux, ce qui marque son appartenance au "lot" de la lumière ou au "lot" de la ténèbre. Cette comparaison permet d'éclairer la signification que l'on doit attribuer à l'étoile de Judas"() dont il est question dans l'apocryphe nouvellement retrouvé.

(NDLR. Par rapport de l'étoile de judas(éon): Judas était sous l'emprise des astres (45, 13). Il est qualifié de « treizième daimon » (44, 20), de « treizième »(13 ième apôtre) (46, 20) et il est celui qui gouvernera sur ceux qui le maudissent (46, 21-23). Ce gouvernement de Judas s'exercera par l'entremise de son étoile (ou de son astre) sur le treizième éon (55, 10-11). C'est cet aveuglement de Judas qui le poussera à commettre le sacrifice le plus vil qui soit : Sacrifier l'enveloppe charnelle de son maître et l'offrir au dieu Saklas.)(NDLR. Le Dieu Saklas,qui est le principal démon du manichéisme)


LE PORTRAIT TYPE DE L'HOMME PARFAIT 


Par ailleurs, l'auteur de l'Évangile de Judas a construit, tout au long de son traité, l'image idéale du parfait initié, le profil du mystique qui, soit par une vision, soit par un voyage céleste, obtient la révélation des mystères, des secrets divins. Les disciples d'une part, Judas d'autre part essayent de se conformer à ce modèle idéal de toutes leurs forces. Mais c'est seulement l'attitude de judas qui coincide avec ce portrait type du mystique tracé par l'auteur.


Le lot de l'initié : la solitude:


À la page 35,21-25, on relate que, sachant que Judas était en train de réfléchir sur des arguments sublimes, jésus lui dit : "Sépare-toi des autres et je te dirai les mystères du royaume". La solitude est le lot de l'initié. En 35,26, jésus rappelle à Judas qu'il est possible d'atteindre cet état, mais qu'il peinera beaucoup. L'annonce et l'anticipation des difficultés font partie du cadre de l'ascension mystique et les exemples ne se comptent pas dans la littérature ésotérique juive. On peut aussi se demander si, lorsque Jésus dit à Judas en 36,1 "quelqu'un d'autre te remplacera" (littéralement: "quelqu'un d'autre viendra vers ton lieu"), il ne fait pas allusion à une substitution de son être corporel(NDLR. Mais a un chevauchement du corps espritique ,comme l'a déja dit Aurobindo et le supramental a venir, et annoncé en 1969 par Bernard de mtl), pendant que Judas entreprend son itinéraire mystique de façon que le nombre de disciples reste inchangé(NDLR. car judas est le 13ième disciple). L'ensemble des remarques de Jésus met en garde le candidat à l'initiation avant qu'il n'entreprenne son chemin d'élection, dont l'issue reste cependant incertaine.


Jésus, l'ange guide par excellence:


On peut par ailleurs noter que Jésus endosse ici le rôle qui est l'apanage, dans la mystique juive et dans les spéculations de la gnose (cf. à Nag Hammadi les traités d'Allogène et de Zostrien par exemple) de l'ange guide. Parmi les plus beaux textes qui définissent les devoirs de l'ange à l'égard de l'initié, l'on peut citer l'Apocalypse d'Abraham et le livre hébreu d'Hénoch.


L'ÉTRANGE VISION DE JUDAS:

Judas persécuté par les disciples


Arrêtons-nous maintenant sur la vision d'une maison dans les hauteurs, dont Judas fait le récit à Jésus et dont celui-ci fournit l'interprétation allégorique (44,24-45,26). Voici ce qu'on lit dans le texte:

« Judas lui dit : "Dans la vision j'ai vu les douze disciples qui me jetaient des pierres et me persécutaient sévèrement. Puis je me suis rendu au lieu où [le texte manque] après toi. Je vis [une maison] et mes yeux ne pouvaient en saisir la grandeur. Et de grands gens l'entouraient, et cette maison avait un toit en feuillage (ou un vaste toit) et au milieu de la maison il y avait 

[   ]. " Il dit "Maître, conduis-moi vers ces gens"

Jésus répondit et dit : "Ton étoile t'a conduit à l'erreur. Aucun homme de naissance mortelle n'est digne d'entrer dans la maison que tu as vue, car ce lieu est réservé aux saints; ni le soleil ni la lune règnent là-bas, ni le jour, mais la sainteté se tiendra toujours dans l'éon avec les saints anges.Regarde, je t'ai expliqué les mystères du royaume" ».


Une maison céleste peuplée d'hommes très grands


Cette vision s'articule en deux parties d'importance et de longueur inégales : d'abord la vision de la punition que les disciples réservent à Judas, ensuite la vision d'une maison céleste. Il s'agit selon nous du récit d'une expérience mystique vécue par Judas, et dans laquelle on peut déceler des références précises à des modèles attestés dans des textes appartenant à la mouvance de l'ésotérisme juif.

L'on examinera ici la seconde partie de la vision. judas voit une maison dont la taille extraordinaire ne peut même pas être mesurée. Cette maison est entourée de "gens nobles, de gens grands" (selon la traduction des éditeurs de l'Évangile de Judas) : entendons plutôt, en traduisant littéralement le copte, d'hommes très grands (45,5).

Ensuite, il est question du toit de cette maison, un toit en feuillage.

Il nous semble que cette description d'une maison" est une allusion précise au temple céleste, au palais où réside le dieu transcendant, thème sur lequel la littérature juive mystique et surtout la littérature dite des Hékaloth ont spéculé abondamment. Il y a ici, dans l'évangile apocryphe, une trace précise qui nous indigue que son auteur gnostique était familier de ces littératures ésotériques qui, à partir des textes de la Merkabah, ont marqué de leur sceau le courant du judaïsme mystique pendant de nombreux siècles.


En effet, la mention faite de la taille de la maison dont la grandeur est insaisissable aux yeux de Judas est typique des visions du temple céleste, du palais divin (cf. par exemple, 1 Hénoch 14 et plusieurs références en 3 Hénoch, ainsi que dans l'Apocalypse d'Abraham).


Qui sont les hommes très grands dont parle le texte copte ?

Ce sont des anges à la taille démesurée. Cette façon de nommer les anges "hommes" se retrouve dans le Testament d'Abraham V, tout au long du roman de Joseph et Aséneth ou encore dans 2 Hénoch 1. Ces hommes très grands, ces anges, entourent le lieu où réside la transcendance divine. Ils se consacrent, selon toute probabilité, au service ininterrompu de la divinité et à la prononciation du Nom sous la forme d'un chant perpétuel. 

En ce qui concerne le toit, les mentions de celui du palais divin que l'on peut trouver dans la littérature juive mystique se réferent généralement ; un toit de feu flamboyant (1 Hénoch 14,17) ; la reconstitution "toit de feuillage" dans l'Évangile de Judas est probablement erronée, ou il s'agit d'une erreur du scribe copte. On ne sait pas, car il y a une lacune, ce qu'il y avait au milieu de la maison, le seul mot partiellement conservé étant meshe, "foule" (45,9), peut-être une foule d'anges préposés au service de la divinité.


Judas initié

judas demande à jésus (45, 11) de le faire entrer dans ce lieu avec "ces gens-la" (nous traduirons, comme auparavant, par "ces hommes-la" nirome en copte). Il s'agit à nouveau, selon nous, des anges, ce qui est confirmé par les lignes qui suivent où on lit : "Ton étoile t'a conduit à l'erreur, Judas. Aucun homme de naissance mortelle est digne de pénétrer dans la maison que tu as vue, car cette place est réservée pour la Sainteté". Ni le soleil ni la lune ni le jour règneront là-bas, mais le Saint (la saintetél) se tiendra toujours dans l'éon avec les anges saints.

L'expression d'"anges saints" ou d'"anges de sainteté" est typique de la littérature de Qumrân (Règle Annexe, par exemple), du Livre des Jubilés et du 1 Hénoch. Jésus termine cette interprétation en disant à Judas qu'il lui a ainsi expliqué

"les mystères du royaume".


L'ATTACHEMENT AUX ANGES

Un autre aspect qui étaye les influences exercées par la mystique juive sur l'Évangile de Judas est l'intérêt que son auteur prête aux anges. Cet intérêt est également partagé par d'autres textes gnostiques retrouvés à Nag Hammadi ou transmis par les Pères de l'Église. L'angélologie constitue souvent, dans ces traités, le canevas sur lequel s'inscrivent les grandes problématiques gnostiques : la théologie, la cosmologie, l'anthropologie.

Tout comme dans d'autres traités, l'on trouve dans l'apocryphe de Judas des anges in bonam partem (bons) et des anges in malam partem (mauvais), le terme aggelos ayant été utilisé par les gnostiques dans les deux sens. Dans l'Évangile de Judas, on définit nettement les deux camps, les anges du Dieu Transcendant faisant face aux anges du démiurge.

L'angélologie gnostique s'enracine dans l'angélolocie du judaisme mystique dont elle réutilise des matériaux tout en les mettant au service d'une nouvelle idéologie : le Dieu Très haut se distingue du créateur du monde. Cette opposition se définit par leurs armées angéliques respectives, organisées en camps et en rangs militaires.

Ces armées sont vouées au service et à l'adoration de leurs chefs respectifs.


En guise de conclusion, l'appropriation de traditions du judaïsme ésotérique qui marquait déjà, à notre sens, certains écrits gnostiques de Nag Hammadi trouve aujourd'hui, dans l'Evangile de Judas, un nouveau témoignage. Cela nous porte à croire que les frontières entre des groupes juifs de tendance mystique et des groupes ésotériques gnostiques n'étaient pas étanches et que des relations et des liens étaient tissés entre eux.

On doit toutefois noter que ces reprises de langage, de formules, de thèmes sont adaptées au nouveau contexte gnostique qui scinde polémiquement par rapport au judaïsme la figure du dieu créateur et celle du Dieu transcendant, en construisant ainsi une nouvelle vision du monde.



REF.: REF.: Le magasine,Religions et Histoires,numéro 11, 2006.


Nota: Qui est Aurobindo ? 

Sri Aurobindo (né Aurobindo Ghose ; 15 août 1872 - 5 décembre 1950) était un philosophe indien, yogi, maharishi, poète et nationaliste indien.[3] Il était également journaliste, éditant des journaux tels que Vande Mataram.[4] Il a rejoint le mouvement indien pour l'indépendance de la domination coloniale britannique, jusqu'en 1910 était l'un de ses dirigeants influents, puis est devenu un réformateur spirituel, présentant ses visions sur le progrès humain et l'évolution spirituelle.

https://en.wikipedia.org/wiki/Sri_Aurobindo


L'Évangile de Judas est un texte apocryphe (c’est-à-dire non reconnu par les Églises) du iie siècle. Document du mouvement gnostique à l'intérieur du christianisme primitif, il apparut sur le marché, dans sa version en langue copte (iiie siècle), dans les années 1970. En mauvais état et en partie démembré, ses pages 33 à 58 (du Codex Tchacos) sont aujourd'hui déposées à la Fondation Martin Bodmer à Genève.De nos jours, un tiers environ du texte est connu.Chez les anciens, on peut noter le jugement d'Épiphane de Salamine qui, dans son Panarion (1,31), affirme que cet évangile fait partie des écritures de la secte gnostique des Caïnites. Il réagit à l'apologie que cet écrit fait de Judas en s'appuyant sur le texte des évangiles canoniques, eux-mêmes fondés sur une lecture prophétique de l'Ancien Testament. Or certains gnostiques avaient précisément comme règle herméneutique de détacher le Nouveau Testament de ses racines juives. C'est peut-être le cas de l'Évangile de Judas : en justifiant Judas, ils mettent à mal tout ce que les chrétiens ont compris du drame de l'apôtre à partir de leur méditation des livres prophétiques et des Psaumes.Il est dit à la fin de l'Évangile de Judas qu'il surpassera les autres. Or, le contexte immédiat indique que ceux que Judas surpassera ne sont pas ceux qui suivent Jésus, mais plutôt ceux qui présentent et offrent en son nom des sacrifices au dieu Saklas (56, 12-13).


Bernard de Montréal:

Son vrai nom est: Étudiant en anthropologie à l'Université d'Albuquerque, au Nouveau-Mexique, Jen-Paul Boucher, dit Bernard de Montréal, (1939-2003), a vécu, en 1969, une fusion supramentale qui généra une profonde transformation psychique, y compris une perte de mémoire. Il a exploré l'esprit humain dans un grand mouvement québécois entre 1970 et 1980. https://www.bernard-de-montreal-energie-du-savoir.com/l%27-instruction-une-puissance-vibratoire-unique/?fbclid=IwAR2d4mGYdyOa3xzUqyoiaDgBHi2AjiFAPNjOD6qBMgRdV4mpArLImlz_2OA

ou bien ici https://www.facebook.com/groups/578376322594232?multi_permalinks=1804017483363437&hoisted_section_header_type=recently_seen


BIBLIOGRAPHIE:

DOGNIEZ C. ET SCOPELLO M., "Autour des anges : traditions juives et relectures gnostiques", in Coptica, Gnostica, Manichaica, Mélanges offerts à W.P. Funk, Les Presses de 'Université Laval-Editions Peeters, 2006, pp. 179-225.

DUPONT-SOMMER A. ET PHILONENKO M. (éd.), La Bible. Écrits inter-testamentaires, La Pléiade, Gallimard, Paris, 1987.

MopSik C., Le livre hébreu d'Hénoch ou livre des palais, Verdier, Paris, 1989.

SCHÄFER P., Le Dieu caché et révélé. Introduction à la mystique juive ancienne, Le Cerf, Paris, 1993.

ScHOLEM G., Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism and Talmudic Tradition, The Jewish Theological Seminary of America, New

York, 1960.

SCHOLEM G., Les origines de la kabbale, Pardès, Paris, 1966. 

Judas versus jean, Matthieu, Marc et Luc Lecture comparée des évangiles:

 

Judas versus jean, Matthieu, Marc et Luc Lecture comparée des évangiles:




par Mauro PESCE, Professeur à l'Université de Bologne (Italie), Centre de Science des Religions.

Traduit de l'italien par Eva Bensard.



De nombreux évangiles circulaient au milieu du Il° siècle: ceux de Thomas, de Marie, de Philippe, et bien d'autres encore. Bien sûr, il y avait aussi les quatre évangiles devenus plus tard canoniques, mais aucun, à cette époque, n'était plus important qu'un autre : le Nouveau Testament n'existait pas encore. L'Évangile de Judas a été écrit avant 180 de notre ère, date aux environs de laquelle l'évêque de Lyon, Irénée, en fait état dans son ouvrage Contre les hérésies. Le texte affirme se baser sur l'autorité du Christ, par l'intermédiaire du seul apôtre que tous les disciples ont rejeté : Judas.


Si l'objectif de cet évangile est d'aller à l'encontre de la tradition ecclésiastique présentant Judas comme un traître méprisable, on ne peut que constater la dépendance étroite qui l'unit aux autres évangiles, même si le message qu'il contient est, au final, fort différent. 


L'auteur prend comme point de départ l'histoire de la trahison de Judas rapportée dans l'Évangile de Jean et dans les synoptiques (C'est-à-dire les Évangiles de Matthieu, Marc et Luc)' et la transforme en une contre-histoire. Le fait que le personnage principal soit simplement appelé Judas, et une fois seulement "judas l'Iscariote" (35,9-10), montre que l'auteur tient pour acquis la connaissance de la trahison de Judas telle qu'elle apparaît dans nos évangiles. En 36,1-5, il semble même bien connaître le récit des Actes des Apôtres (1,15-26), dans lequel Matthias est élu à la place de Judas. La dernière phrase de l'évangile : "Il reçut de l'argent et le livra (paradidoy)" (58,25-26), emploie le même verbe (en grec : paradidômi) adopté par les évangiles aujourd'hui contenus dans le Nouveau Testament (Mt 26,25 ; 27,3 ; Mc 14,10 ; jn 12,4, 13,2 ;18,2, 18,5) : c'est là une preuve de plus témoignant de la dépendance de ce texte envers les quatre écrits canoniques. Mais sur Judas en tant que personnage historique, cette œuvre ne présente aucune information propre.


UNE RELATION TRÈS INTIME AVEC L'ÉVANGILE DE JEAN


Des quatre évangiles, celui de jean constitue li référence la plus importante. Au cour de ce text se noue une situation dramatique, la majorité de personnes rejetant Jésus. Aux rares qui l'acceptent il est cependant offert la possibilité de devenir le fils de Dieu (jn 1,11-13). Suivant ce fil tragique l'Évangile se divise en deux parties principale. À la fin des douze premiers chapitres, Jean affirme que la majeure partie de la population n'avait pas foi en Jésus. Le Christ commence alors, en privé, à se consacrer à ses seuls disciples : c'est là que débute la seconde partie de l'Evangile, au chapitre 13.


L'Évangile de Judas résume ainsi l'intégralité ‹ cet épisode:« Lorsque Jésus apparut sur la Terre, il accomplit des miracles et de grandes merveilles pour le salut de l'humanité. Et comme certains marchaient dans la voie de la justice tandis que d'autres étaient engagés dans sa transgression les douze disciples furent appelés. 


Il commença à s'entretenir avec eux des mystères au-dela du monde et de ce qui aurait lieu a la fin. » (33, 6-18).

À l'image de ce qui est dit dans l'Évangile de jean, comme beaucoup restaient dans la voie de la transgression malgré les miracles, Jésus réserve à ses seuls disciples les révélations sur la nature et sur les destins du monde. Suivant le style littéraire des chapitres 13-17 de Jean, l'ouvre se compose en substance de quatre dialogues de Jésus avec tous les apôtres, puis d'un avec le seul Judas.


UNE TRAHISON VOULUE PAR JÉSUS LUI-MEME


L'opposition entre Judas et les "Douze" est caractéristique de l'Évangile de Judas. Dans les évangiles canoniques, elle apparaît uniquement dans celui de jean, en particulier dans le chapitre 6,64-70, qui a joué un rôle majeur dans la rédaction de l'Évangile de Judas. Dans ce passage, on peut lire:


« "Mais il en est parmi vous qui ne croient pas".En fait, Jésus savait depuis le début quels étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui allait le livrer. Il ajoute : "C'est bien pourquoi je vous ai dit : Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. Dès lors, beaucoup de ses disciples s'en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui. Alors Jésus dit aux Douze : "Et vous, ne voulez-vous pas partir ?" Simon Pierre lui répondit : "Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu." jésus leur répondit : "N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ?Et cependant, l'un de vous est un diable. Il désignait ainsi judas, fils de Simon l'Iscariote; car c'était lui qui allait le livrer, lui, l'un des Douze. » Voici l'affirmation qui a poussé tant de théologiens, exégètes et romanciers à se demander pourquoi jésus avait choisi Judas comme disciple, s'il savait "dès le début" qu'il l'aurait trahi.


N'est-ce pas la preuve que Jésus voulait être trahi par ce dernier, comme le prétend justement l'Évangile de judas ? Le fait que nous ne trouvions cette opposition frontale entre Judas et les Douze uniquement dans lean, et pas dans les synopti-ques, est particulièrement révélateur. « "N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ?

Et cependant, l'un de vous est un diable!" Il désighait ainsi Judas, fils de Simon l'iscariote; car c'était lui qui allait le livrer, lui, l'un des Douze. ».


L'Évangile de Jean, du reste, est le seul dans lequel Jésus semble donner à judas l'ordre de le trahir :

« Jésus lui dit alors : "Ce que tu as à faire, fais-le vite" » (13,27). Ainsi, l'évangile de jean, et uniquement celui-ci, pouvait permettre l'interprétation caractéristique de l'Évangile de Judas, selon laquelle la trahison était voulue par le Christ.


LA CONFESSION DE FOI : DES RÉCITS DIVERGENTS DE JEAN ET DE JUDAS


Dans l'Évangile de Judas, ce n'est pas Pierre, mais Judas qui exprime une juste confession de foi en exclamant : "Je sais qui tu es et d'où tu es venu. Tu es issu du Royaume immortel de Barbèlô.(BARBÈLÔ est la Mère divine de tous et est souvent définie comme la Prescience (connaissance que Dieu a de toute chose) du Père.)) Et le nom de qui t'a envoyé, je ne suis pas digne de le prononcer." (35,14-21). Bien sûr, la confession de Pierre figure également dans Mc 8,27-30 / Le 9,18-21/ Mt 16,13-20, mais la relation entre la confession de la véritable nature de Jésus et l'opposition entre Pierre et les Douze d'un côté, et Judas de l'autre, n'est présente que dans Jean. Certaines expressions de cette "confession" de Judas figurent dans les quatre évangiles, mais dans des contextes très différents. "je ne suis pas digne" est une phrase que les évangiles canoniques font prononcer à Jean-Baptiste à l'égard de Jésus (Mc 1,7 ; Lc 3,16 ; Mt 3,11 ; jn 1,27). Même le centurion s'adresse à lésus en employant ces mots (Lc 7,6 ; Mt 8,8).

L'affirmation "je sais qui tu es" est prononcée par l'esprit impur de Mc 1,24 et Lc 4,34. Il semble, en fait, que l'auteur de l'Évangile de Judas soit familier du langage des évangiles qui devinrent par la suite canoniques, et s'en serve librement.


LA RÉVÉLATION DE JÉSUS À JUDAS


L'Évangile de Judas affirme que la grande révélation faite par Jésus à Judas eut lieu "trois jours" avant Pâques. Cette indication s'explique si l'on suppose que l'auteur avait à l'esprit l'Évangile de Jean. Dans celui-ci, Jésus demande à Judas, au cours du dernier repas, de le trahir "vite". Or, dans Jean, la Cène se déroule un jour avant Pâques.


Nota: Dans les textes séthiens (mouvement gnostique apparut vers 70 de notre ère, selon lequel Jésus n'est pas le fils du Dieu de l'Ancien Testament, mais de Seth, troisième fils d'Adam et d'Ève), BARBÈLÔ est la Mère divine de tous et est souvent définie comme la Prescience (connaissance que Dieu a de toute chose) du Père.


Si l'on ne raisonne pas selon la culture hébraïque, qui fait débuter le jour à partir du soir, le dernier repas du Christ eut lieu deux jours avant Pâques, un jeudi soir (un vendredi si on suit la coutume hébraïque). Par conséquent, si Jésus révéla le grand mystère à Judas un jour avant la Cène, cela aurait eu lieu "trois jours avant" Pâques.

Cependant, il est également possible que l'auteur ait pris pour référence les évangiles de Marc et de Matthieu, dans lesquels Judas livre Jésus avant le dernier repas (Mc 14,10), et après le banquet chez Simon le lépreux, "deux jours avant Pâques" (Mc 14, 1, cf. Mt 26,2). 


Mais dans ce cas aussi, la révélation secrète de lésus à judas se serait tenue "trois jours avant". Il me semble cependant que l'indication de l'Évangile de Judas selon laquelle cette révélation se produisit trois jours avant Pâques, mais sur une période de huit jours, rappelle en quelque sorte l'allusion temporelle de l'Évangile de jean, qui au chapitre 12,1 écrit : "Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie.


UNE MANIÈRE RADICALEMENT OPPOSÉE DE CONCEVOIR LE MONDE


L'Évangile de Judas est très proche de celui de Jean, en particulier dans sa structure de pensée.

Les deux évangiles proposent des réponses opposées à des problèmes communs. Dans chacun d'eux, on observe une opposition cosmologique entre la réalité divine supérieure et la réalité du monde, qui lui est inférieure. Selon Jean cepen-dant, la création n'est pas un mal, alors que dans l'Évangile de Judas, l'opposition haut/bas est exprimée de manière radicalement gnostique.

À la place du Prince qui domine ce monde (jn 12,31 ; 14,30 ; 16,11), l'Évangile de Judas considère le Dieu biblique créateur du monde comme démoniaque. Dans les deux textes, Jésus est un être surnaturel qui existait avant la création du monde et qui se fit humain. Si, selon l'Évangile de Jean, il n'existe pas d'opposition insurmontable entre l'humanité de jésus et son origine surnaturelle, l'Évangile de judas affirme en revanche que la dimension humaine du Christ est un mal dont il doit se libérer à travers la mort (NDLR. En supramental,c'est la mort de l'égo pour la fusionner avec son Esprit,selon Sri Aurobindo et d'autres antennes supramental)qui seule lui permettra de rejoindre le royaume de l'au-delà.


DES RÉFÉRENCES DISCRÈTES AUX ÉVANGILES DE MATTHIEU, MARC ET LUC


L'auteur de l'Évangile de judas connaissait aussi probablement celui de Mathieu, car la phrase "Ils cherchaient à l'arrêter, mais ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète" ne peut faire référence qu'à Matthieu, qui est le seul à utiliser cette phrase à propos de jésus (Mt 21,45). Marc et Luc l'emploient, mais appliquée à Jean-Baptistes.

Il est particulièrement intéressant de constater que l'Évangile de Judas, immédiatement après avoir eu recours à une expression qui figure dans Matthieu, emploie un mot apparaissant uniquement dans les évangiles de Marc et de Luc, mais dans un contexte qui fait, pour sa part, référence à celui de jean. Si cette observation se révélait exacte, il faudrait conclure que l'auteur connaissait relativement bien les quatre évangiles, et y avait recours en les combinant, grâce à des citations faites de mémoire - à moins qu'il n'ait eu à disposition une "harmonie", c'est-à-dire une œuvre réunissant les divers évangiles


Il est écrit dans l'Évangile de judas :


« Leurs grands prêtres murmurèrent : "Il est entré dans la pièce (katalyma) où il a son lieu de prière!" Mais certains scribes étaient là qui guettaient, afin de l'appréhender discrètement en pleine priere, car ils craignaient le peuple qui le considérait comme un prophète. » (58, 9-19).Seuls les évangiles de Marc et de Luc (Mc 14,14;lc 22,11) utilisent le terme katalyma pour désigner la pièce où lésus et ses disciples partagent le dernier repas. L'évangile de judas connaît donc le récit d'au moins un des deux textes. Toutefois, et cela à deux reprises, il affirme que jésus utilise cette pièce pour la "prière", et non pour célébrer la Pâque. Or, seul l'Évangile de Jean fait référence à une longue prière du Christ dans le lieu où se déroule la Cène (cf. In 17).


En conclusion, l'Évangile de judas s'oppose à ceux de Mathieu, Marc et lean, mais, pour pouvoir les contester, il doit les présupposer. L'esprit polémique qui le caractérise nous permet de retracer, dans certains cas, la connaissance que l'auteur avait de ces textes. Mais c'est avec l'Évangile de Jean que se manifeste la relation la plus profonde.

Ils proviennent tous deux d'un même milieu et d'un même mouvement protochrétien, dont ils représentent sans doute deux courants opposés.

Enfin, on peut également noter que l'Évangile de Judas témoigne, dans divers passages, d'une étroite dépendance avec l'Évangile de Thomas, lui aussi apocryphe. Mais ceci est une autre histoire .


JUDAS, LE GUIDE DE LA "GENERATION SAINTE"


Ce royaume immortel est aussi celui de la génération grande et sainte (36,16-17). Les gnostiques sont invités à rejoindre cette génération spirituelle, supérieure à celle des mondes terrestres. L'explication de Jésus va même jusqu'à promettre l'inefficacité des anges situés dans les étoiles sur les membres de cette génération sainte (37,1-16). Autrement dit, les anges qui dirigent les affaires du monde d'ici-bas n'ont pas de prise sur elle; le soleil et la lune ne peuvent régner dans ce royaume-là, pas même le jour (45,20-21) ; seuls les saints sont en compagnie des anges saints (45,22-24). Cette génération sainte profitera encore de la gnose qui a été promise par Dieu à Adam, afin que les maîtres du chaos n'aient pas de prise sur la génération sainte (54,8-12). Et Judas, à qui jésus a dispensé en privé un enseignement secret, sera l'étoile qui guidera le cortège de la génération sainte (57,19-20).


LIBÉRER L'HOMME DE SON ENVELOPPE CHARNELLE(NDLR. malheureusement pris au premier degré,sauf depuis la venu de Sri Aurobindo !)


Une dimension apocalyptique caractérise le déroulement du plan divin. Tout doit s'accomplir selon la providence. Et quand l'ensemble des œuvres et des temps prévus par la providence auront été accomplis, l'archonte mauvais(NDLR. démon,Dieu Saklas,qui est le principal démon du manichéisme,) sera anéanti et la génération sainte sera exaltée, une fois qu'elle aura sacrifié l'homme(NDLR. Jésus homme mort sur la croix pour fusionner avec son esprit Christique) qui sert d'enveloppe charnelle (56-57) C'est la raison pour laquelle le sacréfice de l'homme jésus aux autorités du Temple par l'intermédiaire de judas a la fin du texte est une nécessité logique, dans le système de cet apocryphe


Le salut sera accessible a ceux qui abandonneront le corps mortel(NDLR. La mort de l'égo qui ascençionnera avec son Esprit) et ses préoccupations, pour écouter et comprendre les réalités sublimes dont parlent les révélations du jésus des gnostiques. L'évangile de judas confirme ce qu'on connaissait de la gnose antique; il illustre la vérité des conceptions gnostiques dans les premiers siècles de l'histoire du christianisme.(NDLR. Exclus par le Vatican en les classants apocryphes pour être réservé plus tard aux supraconscients ou aux chercheurs de lumières,car les non initiés ne pourraient comprendre toute cette vérité Christique qui était avant son temps ,soit 1969 pour le supramental de Aurobindo et autres antennes supramentalisées !)



REF.: Le magasine,Religions et Histoires,numéro 11, 2006.